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Les classiques du garage commencent à pointer dans ma série, mais ne croyez pas que question obscurités je commence à en manquer sous le pied. Je peux tenir longtemps. Il se trouve que les classiques du garage font également partie de mon programme. J’ai déjà traité dans une notice de l’album Psychotic reaction du groupe The Fire Escape lié aux Seeds et à Kim Fowley. Ici, j’ai le CD des deux premiers albums des Seeds sous la main (2 Albums on 1 CD !), ce qui me fait un total de 19 titres, mais il faut deviner au feeling à quel moment on passe du premier au second album, sachant que le dix-neuvième titre Up in her room dure 14 minutes 27. En fait, j’ai aussi, avec une meilleure présentation, les albums des Seeds deux par deux dans une autre série, mais pas avec les pochettes originales, plutôt des bordures de couleurs rouges, bleues, qui les camouflent sur la première page du livret. Mais bref, ils sont rangés ailleurs. Ici, au moins, le livret me fait admirer la magnifique pochette en miniature de leur second album A web of sound. C’est digne du film d’épouvante des années cinquante. Dans un dessin stylisé et simple de toile d’araignée sur fond noir, on a collé des photos des quatre membres du groupe qui font très maladroitement mine d’être pris dans les fils. C’est superbe au second degré. Je voudrais avoir le vinyle en collector.
Il doit être facile de trancher les titres respectifs des deux albums en consultant internet, mais je vais me lancer dans le flot des 19 titres réunis. D’instinct, je dirais que les 12 premiers titres firent partie du premier album et qu’il n’y avait que sept titres sur le second album étant donné une face B à titre unique. Dans tous les cas, les deux hits majeurs du groupe firent partie du premier album, ici plages 1 et 5 : Can’t seem to make you mine et Pushin’ too hard. La préférence va assez naturellement à Pushin’ too hard, mais Can’t seem to make you mine est exceptionnel également. J’apprécie aussi beaucoup Try to understand. Avec les Seeds, inévitablement plusieurs titres se ressemblent et ils ont une tendance individuelle au style rengainant. A cela, il convient d’ajouter que leurs sons si particuliers s’imposent à l’oreille, ce qui doit renforcer l’impression d’être assailli par quelque chose d’obsédant. Je n’écoute pas les Seeds en boucle toute la journée, ce qui me rend le problème assez secondaire. Je conseille soit les deux premiers albums en 19 titres sur un CD, soit la compilation 49 titres en deux CD Pushin’ too hard the best of the Seeds. Là, tout est bon et je suis sûr de ne pas m’ennuyer. C’est à partir du couple des 3ème et 4ème albums que les choses se gâtent, après il y a un 5ème album et un live couplés ensemble. Je me rappelle deux titres d’albums Future et A Full spoon of seedy blues réunis sur un CD à bordure bleue et puis le Live, où figure le mot Raw et qui doit correspondre au supplément Seeds de l’album The Fire escape : Psychotic reaction, est couplé avec je ne sais plus quoi sur un CD à bordure rouge. Je ne les écoute pas trop, ce qui fait qu’ils sont rangés et non immédiatement accessibles. Là, on tombe inévitablement sur des croûtes et on s’impatiente. Mais, comme ça, avec les deux premiers albums ou le best of 49 titres, je me régale. Le best of contient de toute façon une partie des albums ultérieurs.
Il faut savoir que la musique des Seeds est réputée pauvre : « pourquoi trois accords, pourquoi pas deux ? », squelette de partie guitaristique, orgue simplet sans faire dans l’orgue de barbarie. Mais, c’est une alchimie, un équilibre qu’on adore et vénère. Il dispose tous ces trucs simples et ils font quelque chose de génial par la distribution, par l’idée directrice, par l’instinct de plaisir du rythme. Nées de rien, les mélodies sont séduisantes, captent l’intérêt, dégagent une chaleur envoûtante. Il y a un peu l’idée qu’avec leur minimalisme de gens qui ne savent pas trop jouer, qu’avec leurs instruments qui ne sont pas les plus cotés, nos Seeds ont un bon goût musical.
Ce manque de raffinement et de virtuosité ne saurait assurer une reconnaissance pleine et entière du groupe auprès de tout profil de mélomane du rock. Abstraction faite des limites, les qualités sont néanmoins suffisamment réelles que pour justifier qu’on s’y épanche. En même temps, l’autre problème que pose le groupe, c’est son leader. De son vrai nom Richard Marsh, Sky Saxon semble venir de la communauté mormon. Il a voulu créer un groupe stonien qui sera The Seeds, mais, et la drogue n’a rien dû arranger, il était assez barré. Son groupe de graines devait présenter comme révolu le temps des pierres (les Stones). Les ambitions psychédéliques du troisième album tournent court et les notes de pochette Par Muddy Waters ( !) du quatrième album ne permettent pas de mieux considérer le contenu. Le groupe finit par éclater, mais Saxon tourne en véritable illuminé dans un culte religieux de la côte ouest. Je ne sais pas traduire « swami Father Yod », mais il vire marbré. Dans les années 70, il enregistre neuf albums mystiques avec le groupe Ya Ho Wa 13. Il recrée un groupe The Seeds par nostalgie en continuant ses sermons. Les chiens sont promis héritiers de ses futur(e)s royalties sous le coup d’une révélation : God se retourne en dog.
A part Sky Saxon (harmonica, basse et chant), les musiciens sont Daryl Hooper (Organ, piano), Jan Savage (guitar) et Rick Andridge (drums). Un certain Cooker a participé pour les parties guitare au bottleneck. Marcus Tybalt, qui compose sur le second album, ne fait pas partie du groupe, il semble que c’en soit un promoteur puisqu’il assure le texte de notes exaltées sur la pochette.
Mais, je reprends mon commentaire du premier album. La première face (six titres je présume) aligne quelques temps des plus fameux : Can’t seem to make you mine, No escape, Evil Hoodoo, Pushin’ too hard et Try to understand contre une expérience particulière Girl I want you. Passons directement à la face B. Nobody spoil my fun est un blues sautillant qui finit un peu en imitation du The Trip de Kim Fowley se superposant à la musique. It’s a hard life me fait penser à Bo Diddley, avec pourtant plus directement un style de blues marécageux qui exploite les creux silencieux entre les notes. Le titre me plaît aussi pas mal. You can’t be trusted envoie une sauce aiguë un peu foraine qui donne le tournis. C’est surtout le chant qui ne varie guère. En appréciant à la suite Excuse, excuse, on comprend qu’il est clair que les Seeds ont quelque chose de primitif dans le don du rythme. C’est basique, mais syncopé avec goût. Les sons ne sont pas produits par des merveilles technologiques, mais ils sont plaisants sans être parfaits. Ils chatoient et c’est leur séduction, sans être des charmeurs subtils. Des notes tombent bien lourdement, mais efficacement pour faire rock. Fallin’ in love reste bien gras comme blues lent classieusement soutenu au piano. Ce qui ressort, c’est le dynamisme, la fraîcheur, le plaisir du rythme et puis ces solos jouissifs au piano sinon à la guitare avec des notes espacées qui plaisent par leurs contrastes simples, par la mélodie qui résulte du contraste des « tons ». Mr Farmer se caractérise par un lancinant traitement au clavier bien psychédélique, ce qui en fait un titre important. Il y a encore ensuite un super plan dramatique au piano. Je trouve que, basique, ce groupe est génial. Il y a une vraie fête sonore, une vraie fête de la musique, et la puissance ne naît pas du gros son, de la performance, mais du rythme et d’une allure ultra syncopé. Tous les titres du premier album sont composés par le seul leader rebaptisé Sky Saxon, sauf deux en positions 2 et 3. No escape est une composition à trois (Lawrence-Savage-Saxon). Il s’agit d’un rentre-dedans rock seedien classique. Une sorte de titre qui rend fou. Evil Hoodoo est une collaboration Hooper-Saxon qui développe une structure plus compliquée que les autres titres. Hooper prendra une part plus importante aux compositions du second album, dont Tripmaker qui est de lui. Evil Hoodoo dure cinq mintues et contient de l’harmonica, ce qui achève de le différencier de la plupart des autres titres. Enfin, du point de vue sonore, Girl I want you est sans doute le plus expérimental. Les audaces s’en sortent bien, mais au tiers du morceau les recettes d’autres chansons viennent à la rescousse.
Maintenant, je joue à un petit jeu : vérifier si tous les titres du premier album figurent sur le best of. Dix titres figurent sur la compilation, mais dans le désordre. Les deux chansons qui n’ont pas été retenues sont Girl I want you et Fallin’ in Love.
Le second album présente plus de finesse instrumentale, mais il est moins inspiré. Sky Saxon est en retrait côté compositions. Il ne compose seul que le long titre de face B Up in her room et un Rollin’ Machine. Just let go est coécrit à trois : Hooper, Savage et Saxon. Saxon coécrit avec Hooper Pictures and designs et A faded picture. En revanche, Tripmaker est composé par la paire Hooper-Tybalt et un autre titre I tell myself est composé par le seul Tybalt. I tell myself contient un peu d’harmonica et est renforcé par la marque de fabrique de l’orchestration Seeds. Le titre a un côté maladroit, fragile, mais passe bien. La poésie lente de A Faded picture a son charme. On ne peut pas reprocher à ce titre d’être une variante de Pushin’ too hard et Can’t seem to make you mine. Ce titre lent aux notes détachées est très agréable. Rollin’ machine est un bon titre. Quant à Just let go, c’est une variante de Pushin’ too hard, mais une variante d’angoisse avec crescendo final dont on peut dire qu’il fallait qu’elle existe. Up in her room commence sous les meilleures auspices, avec un super jeu bluesy de quelques notes guitare et un accompagnement en fond de multiples variations instrumentales aussi simples soient-elles. Evidemment, il ne faut pas écouter le morceau de manière trop concentrée, il faut l’écouter en s’imprégnant, en se laissant aller et tout baigne. Les près de 15 minutes de Up in her room ont été refusées à la compilation qui préfère ici une version live refoulée vers la fin du premier CD qui ne dépasse que les neuf minutes, pas les dix. C’est le Goin’ home des Seeds, cela ne rivalise pas avec les Rolling stones, mais ça reste bon. Plus précisément, la compilation reprend en continu les six premiers titres du second album et remplace le dernier par une version live qui vient à leur suite. Avec les faux cris et le contraste mise en avant de la voix et du piano, guitare à l’arrière, il faut dire que le morceau est cette fois moins intéressant à suivre.
En ce qui la concerne donc, la compilation rassemble la quasi-totalité des deux premiers albums sur le premier CD, réservant le meilleur du reste au second CD. Du coup, ce qui retient l’attention, ce sont les titres mélangés au premier CD. Je pense inévitablement à des faces B de 45 tours. Il s’agit essentiellement de compositions de Saxon, le plus souvent seul : Lose your mind se réclamant clairement de Bo Diddley, The Other place encore un blues des eaux troubles qui rend compréhensible qu’il ait demané à Muddy Waters de rédiger un texte pour la pochette du quatrième album, le morceau est renforcé d’un solo de saxophone où il montre comment il arrive à peu près à se débrouiller sans grande maîtrise de l’instrument, les sons cristallins à la fin du morceau sont également une bonne idée, Daisy Mae est un rock’n’roll dans l’esprit 50’s). Les titres lives sont des enregistrements plus tardifs puisqu’ils sont de 67 et non de 66, mais il reste la question de l’époque de composition. Les cris du public sont ajoutés. J’ai du mal à me sentir ébloui par Mumble Bumble, autre titre de Saxon, mais de trop. Je ne pense pas que ce soit uniquement le fait de la prestation live, mais, même s’il y a des idées creusées, Night time girl ne me convainc pas non plus, il s’agit des restes qui ne pouvaient dignement figurer sur le premier album. Toujours du seul Saxon, le morceau live qui clôt l’album a un titre de démesure 900 million people daily (all making love), il est bien exécuté avec quelques idées, mais la mélodie n’est pas la plus inspirée. Cela plaît sans plus. Enfin, titre studio, Satisfy you est une coécriture Saxon-Savage. Le rythme assure, mais sans mérite. Les sons sont choisis pour plaire, il y a un côté easy listening. Le meilleur était vraiment sur les deux premiers albums.
Bon, je vais écouter tranquillement le deuxième CD de la compilation, mais pour en faire le commentaire cette fois-ci. Je développerai peut-être un jour un concept d’enfance de l’art au sujet de tours simples ou de gamineries qui font des Seeds de merveilleux touche-à-quelque chose. Si je trouve quelqu’un qui me fait confiance sur le côté agréable des deux premiers albums ou du premier CD de la compilation, c’est gagné. Si trois quarts ou 90% du produit est bon, l’achat est justifié. Quant à critiquer la similarité de certains morceaux, ce n’est pas si pertinent, puisque les Seeds ont un style et un son qui leur est propre. Il me semble dès lors normal de se plonger dans cette écoute sur une durée d’une heure ou deux quand on décice d’y venir, sinon ça ne correspondrait plus à un besoin. En plus, là, j’en suis déjà au second titre du CD2 March of the flower people après A Thousand shadows. J’aime toujours bien alors que je viens d’écouter un mix de 27 titres sur deux CD, certains plusieurs fois, le temps de concevoir cette notice. J’aime bien le temps que j’y passe. Je me pénètre des albums de ma collection. Là, sur le second CD, je ne boude pas Travel with your mind. Cet effort de pénétration n’est pas vain. Par exemple, quand je rapproche l’esprit d’eaux troubles, de blues marécageux des notes de pochette de Muddy Waters, je n’ai pas cherché un effet, cela est venu tout seul, car j’ai d’abord constaté une manière de jouer, le privilège de la lenteur, des notes espacées. J’ai pensé au blues marécageux de Jimmy Reed et Slim Harpo. Le jeu de mots sur le nom de Muddy Waters n’a plus eu qu’à se poser. Je ressens plein de choses, mais ne sais pas encore les dire, signe tangible que la pensée ne tient pas si complètement que ça dans le langage. C’est la vérité qu’on comprend intuitivement certaines choses sans véhicule de la langue. Je dois acquérir des compétences pour exprimer ma sous-conscience par des mots et cela n’ira pas sans progrès ou altération, mais peu importe, c’est cela qui est gratifiant. Je ne suis pas un spécialiste d’un discours technique sur la musique, mais l’intérêt c’est que j’adopte des démarches spécifiques à chaque fois qui pourraient viser dans le mille si elles étaient bien développées.
D’ailleurs, si c’est quand même un groupe sixties sympathique et original que les Seeds il est visible que pour cette notice-ci précisément j’ai adopté une démarche défensive, une stratégie de justification. Je ne me mets pas dans un moule informatif, ni dans une envie de triomphe de ma subjectivité. Ma recherche est bien plus profonde et j’avais ici une motivation particulière. Je pourrais résister à un discours qui me présenterait les Seeds comme des dieux, c’est un peu ce que j’ai ressenti au moment de mes achats, mais j’ai rédigé ce texte en songeant à une réaction de mépris dans un livre et à une réaction de fin d’attachement quand après deux morceaux mythiques on découvre les limites et le répétitif. Sabrer le groupe sur la durée, c’est quand même montrer qu’on peut passer à côté de quelque chose, telle est ma conclusion.