J’ai
déjà présenté le Live at The Avallon
Ballroom du groupe The Oxford circle
(entrée 20). Le présent album représente la suite de l’aventure de Gary Lee
Yoder, le leader d’Oxford circle,
formation qui ne connut pas le succès qu’elle méritait mais qui partagea la
scène de l’Avallon Ballroom en 66 avec un groupe devenu depuis bien célèbre The Grateful dead. Oxford circle offrait un remarquable rhythm’n’blues soigné, inspiré
des grands titres rhythm’n’blues de la British Invasion de la précédente année
1965, mais avec déjà une élaboration californienne. Après la dissolution du
groupe, Gary Lee Yoder a enregistré trois titres demeurés inédits qui figurent
en bonus 16 à 18 sur l’anthologie Kak-Ola.
Il a formé ensuite le groupe Kak qui
sortit à la toute fin de l’année 68 un unique album intitulé Kak. Kak-ola
est la réédition CD de l’album avec en prime une demie heure de bonus. Le
rhythm’n’blues s’éloigne pour laisser la place à une grande formation psychédélique
californienne, mais leurs compositions variées ne ressemblent à rien de connu,
pas même à certaines de leurs influences locales, ni au Quicksilver Messenger
Service, ni au Moby Grape, etc. L’album n’a eu aucun succès et on ne peut que
le déplorer car il est carrément sublime. Les compositions sont d’une beauté et
d’une originalité exceptionnelles avec une plénitude de son, de création qui en
font autre chose que de seconds couteaux. Gary Lee Yoder, compositeur
principal, a créé quelques morceaux en compagnie de Gary Grelecki, personne
extérieure au groupe. La formation est un quatuor, mais Yoder aux guitares
rythmiques retrouve aussi à ses côtés cet autre ancien Oxford Circle Dehner qui
tient la lead guitare et qui participe lui aussi au génie de deux
compositions : l’ouverture HCP 97658
et surtout la troisième plage Electric
sailor qui impressionna les membres de Paul
Revere and the Raiders qui passaient dans les studios à ce moment-là.
Dehner lui-même chante sur ce dernier morceau.
Les
parties de guitares sont fines, fouillées et belles sur tout l’album. Gary Lee
Yoder démontre largement ses capacités de chanteur. Les réussites majeures de
l’album viennent de lui. L’album comporte neuf titres et il se termine par un
extraterrestre à l’orthographe capricieuse Lemonaide
Kid. Comment décrire une pareille invention à couper le souffle qui ne
manque pas de figurer sur le quatrième coffret Nuggets, le coffret san franciscain ? Les rocks rapides sont
plutôt concentrés vers le début de l’album. Le titre d’ouverture joue sur la
réunion de studio, on entend quelques paroles échangées comme la phrase de
Grelecki « They’ll love you in England ». C’est un très bon rock
rentre-dedans, mais court. Il révèle le côté uni des musicieins, le côté policé
d’une production fine, même quand elle s’adonne au rock le plus vif. Elle
annonce du génie. Electric sailor en
plage 3 est un titre remarquable qui fait de l’effet. Dehner y a trouvé son
trait de génie de compositieur guitariste et le morceau est embelli par les
changements de plan, certaines sonorités troubles à la guitare et une certaine
chaleur sonore dans les chœurs qui répètent le titre en refrain. Mais, ce titre
à l’architecture plus classique est un rock et il reste à nous confronter à la
dimension des compositions de Yoder qui sont carrément chargées d’âme. Non
seulement il est regrettable que le
groupe n’ait eu aucun succès, mais il faut encore que le passage de Paul Revere and the Raiders préfère
auréoler de légende le titre de Dehner. Manque de bol pour moi, car le génie de
Yoder m’est désespérément évident, malgré la trop grande absence de réaction du
public. Une fois qu’un manque de reconnaissance est instauré, des étranges
mouvements d’humeur se mettent en place qui ne permettent guère de faire
évoluer les choses.
Electric sailor est en tout cas
précédé d’un titre encore supérieur Everything’s
changing qui revient dans une version démo acoustique de bonus en plage 11.
La guitare qui lance le morceau crée de longs cercles vertigineux dans le son,
ce qui se prolonge tout au long du. Le chant rock de Yoder se propulse sur un
fond particulier de tempo rapide de batterie et basse, avec une séquence amusée
de basse répétititve qui sert d’ailleurs à lier l’ensemble aux effets de cercle
vertigineux de la guitare. La batterie suit un rythme à thème en exploitant les
crescendos. Enfin, avec culot, une guitare est grattée de manière minimaliste
comme un instrument de percussion limité, une note électrique chuintante se
greffe au rythme basse-batterie. La fin du morceau permet quelques envolées
instrumentales à partir de ce dispositif quelque peu étrange. Mais, la perle du
rock lourd sur l’album n’est autre que Disbelievin’.
Le morceau peut s’étirer et du coup accusé un caractère répétitif, mais à
chaque fois qu’on revient à ce titre l’effet est vertigineux avec le cri de
Yoder et la puissance instrumentale du morceau. Quand j’écoute Kak, c’est pour
retrouver le titre Lemonaide kid
difficile à mémoriser ou fredonner, c’est aussi pour communier sur Everything’s changing et Disbelievin’. Je n’arrive pas à
comprendre pourquoi je suis un des rares hypnotisés par cette musique. Peut-être
que le son de guitare de Disbelievin’
n’est pas pour toutes les oreilles, mais les deux autres titres ? Je me
régale encore de l’écoute d’autres titres que je vais présenter.
Après
quatre titres rock, le virage alors s’amorce vers des tempos plus contenus,
vers des titres moins rock plus proches de la ballade. La plage I’ve got time est sortie en 45 tours et
il s’agit encore d’un grand moment de Yoder qui revient en version démo
acoustique en plage 12. Il s’agit d’un titre d’âme assez folk qui fait
inévitablement partie des moments de communion de l’album. La musique est aussi
belle que les titres précédents, mais son originalité réside essentiellement
dans les intonations superbes du chant et dans le ralentissement du morceau
vers les deux minutes. Le titre est suivi par Flowing by qu’on pourrait jurer une incursion plus que réussie dans
le domaine du chanteur Donovan. Il s’agit là encore d’un temps fort de l’album :
ne donne pas du Donovan qui veut, avec qui plus est cette richesse harmonique
et instrumentale du groupe. Le titre 7 plus rock’n’roll semble s’inspirer du Moby Grape, mais s’en détache par la
finesse continue d’une longue élaboration à la guitare et le surplomb blues,
mais à tempo rapide, du chant phrasé de Yoder : Bryte ‘n’ clear day. Vais-je trouver un titre secondaire sur cet
album ? Le titre le moins impressionnant de l’album, c’est le titre de
Dehner qui a été paradoxalement presque le plus encensé par l’anecdote du
livret sur le passage de Paul Revere and
the Raiders. Après Bryte ‘n’ clear
day vient alors une triologie de plus de huit minutes. Trois morceaux (Golgotha, Mirage et Rain) et qui auraient été conçus séparément au départ
sont liés entre eux en un seul titre Trieulogy.
Inévitablement, des ambitions musicales y ont été placées et ils sont chargés
d’âme. Nous n’aurons toujours pas de temps faible sur cet album. La succession
entre Golgotha et Mirage est insensible, il semble s’agir
du même morceau qui évolue. Après l’introspection forte de Golgotha, Mirage desserre
l’étau et s’offre de belles envolées. Le son est très beau. En revanche, le
titre Rain change complètement de
tonalité et devient nettement enjoué en dépit de son titre. La musique est
dansante. Nous sommes entraînés dans les petits motifs syncopés et la
multiplication des effets de rythmes-sons. C’est réellement de la musique
inventive. Etrangement, les ruptures de plan sont plutôt dans Rain qu’entre les deux premières parties
de Trieulogy. Nous basculons alors
dans le chef-d’œuvre qui clôt l’album Lemonaide
kid. Je ne sais pas comment m’y prendre pour en parler, je ne ferais rien
passer ou alors il me reste à bien méditer ce que je pourrais en dire ce à quoi
ma paresse répugne pour l’instant, il faut impérativement l’écouter. J’ai bien
des bribes d’idées, mais j’attendrai.
L’album
est suivi de bonus tracks. La version single de Rain, titre extrait de Trieulogy,
apparaît en plage 10 dans une version rock, sans doute moins pertinente. J’ai
déjà évoqué les démos acoustiques de Everything’s
changing et I’ve got time.
Personnellement, j’apprécie beaucoup les écoutes acoustiques qui prouvent autre
chose que l’électricité. Les plages 14 et 15 sont à leur tour des versions
acoustiques inédites, mais annoncées comme du studio « live », ce que
confirme les voix qui échangent et rient avant et après les prises : il
s’agit d’une version de Bryte ’n’ clear
day et d’un medley Mirage / Rain,
ce dernier revenant décidément à trois reprises sur l’album. La plage 13 est un
medley de deux titres cette fois inédits : Bye Bye / Easy Jack. On peut regretter que ces titres n’aient pas
été développés.
Les
plages 16 à 18 sont les trois titres enregistrés par Yoder après la dissolution
de l’Oxford circle et avant la
création du groupe Kak. Les trois
titres sont demeurés inédits, car ils étaient très blues en comparaison de
l’orientation musicale du groupe Kak.
On reconnaît tout de même nettement l’unité de style de Yoder. Ces trois titres
amorçaient déjà l’évolution qui allait de l’Oxford
circle à Kak. Ils sont évidemment
très bons, ce qui justifie tous les regrets. La finesse de When love comes in ne déparerait pas du tout l’album du groupe. A
forte personnalité, le titre I miss you
ressemble à certaines intensités dramatiques présentes sur l’album Kak. Il semble un classique sixties et
non un inédit à l’écoute, et en cours de morceau apparaît un air de flûte qui
se prolonge et revient sur une grande partie encore de la chanson. Bien des
choses s’étaient perdues dans les studios. Le titre Lonely people blues est remarquablement chargé d’âme, encore une
perte historique. Son rythme syncopé fait penser à une multiplication de coups
de frein avec le contrepoint de planements mélodiques aériens aux effets
séducteurs qui vont eux de l’avant. Au moins aujourd’hui en bonus, le titre
nous apparaît comme quelque chose d’abouti. Il reste loisible aux happy few de
le goûter dans toute l’intensité de son charme. Mais, après la dissolution de Kak, Gary Lee Yoder a obtenu la
permission d’enregistrer un single. Ce sont les plages 19 et 20 de l’album. Le
titre Flight from the east est
remarquable. Il a une classe supérieure par rapport aux trois titres
précédents. Il contient des chœurs féminins. C’est du cristal. La face B
country avec un chant aux intonations plus inattendues sur ce rythme est
remarquable également : Good time
music. Hélas, encore une fois le succès ne fut pas au rendez-vous, sans
doute parce que, dans tous les cas, ce que ce coup de génie a de plus
immédiatement perceptible, rejoignait une zone de préoccupations bien prises en
charge par quantité d’autres musiciens. Les créations de Yoder sont chargées
d’âme pourtant, mais quelque chose doit se jouer du côté de ce qui est
immédiatement mis en avant, de ce qui est immédiatement résumé dans la tête de
l’auditeur quelconque.
La
carrière de Gary Lee Yoder va se poursuivre avec Blue Cheer. Ce dernier groupe est connu pour ses premiers albums de
rock lourd qui rencontrèrent le succès, mais il n’est pas très estimé des fans
de rock sixties et collectionneurs qui lui préfèrent les albums suivants.
Justement, Gary Lee Yoder est intervenu sur ces albums de meilleure réputation,
les quatrième à sixième. Mais, le cas Blue
Cheer est si négligemment traité qu’il n’est pas même connu que ce regain
de qualité, en dépit d’un moindre succès, vient quelque peu de la participation
de Yoder. C’est en laissant dans l’anonymat le personnel changeant que les fans
de rock constatent l’évolution de Blue
Cheer, tandis que les historiens du rock et les plus hardeux privilégient
inévitablement le succès des trois premiers albums. Il est vrai toutefois que
Yoder n’a pas créé avec Blue Cheer
une musique aussi merveilleuse qu’avec Oxford
circle et Kak. J’ignore ensuite
ce qu’il est devenu après le sixième album de Blue Cheer.
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