Bien
qu’ils ne soient guère connus du grand public, les albums de Betty Davis ont
été réédités deux fois en CD, une fois en boîtiers classiques, une fois en
digipacks. Le second album est également excellent. Ce sera comme cela jusqu’au
quatrième pourtant demeuré inédit à l’époque. Du premier album au second album,
pratiquement tous les musiciens ont changé autour de Betty Davis. Même le
bassiste Larry Graham n’est plus là. Après avoir écouté le premier album de son
ex-épouse, Miles Davis l’a contacté pour lui conseiller de produire son album
elle-même, tant son oreille est sûre. Les sessions auront le même profil que
celles du premier album, mais Betty a en plus un travail de production. C’est
au moment de la sortie de ce second album que Betty Davis monte enfin sur la
scène. Elle avait attendu pour ne pas se retrouver piégée par la dynamique du
music business. Aucune vidéo ne nous est parvenue de ces prestations, dont il
ne reste que des photos et la légende sulfureuse.
Ce
deuxième album est peut-être le plus modéré, le plus introverti. La musique
funk balance. Certaines sonorités particulières se dégagent parfois. Les choses
sont très posées. Le blues hypnotique de la chanson qui donne son nom à l’album
est fascinant, les racines blues se font nettement sentir dans They say I’m different. Quel
rhythm’n’blues avec plusieurs recettes dans les chœurs et les jeux de guitare,
parfois aevec de la distorsion. Plusieurs motifs discrets se situent pourtant à
un niveau magistral (piano, guitare, etc.). Un hommage est rendu à Chuck Berry
dont le nom est feulé à un moment donné, annonce d’un prochain spécial hommage
rock sur le prochain album. Le titre They
say I’m different se termine en fade out, comme incomplet. On enchaîne avec
le titre 70’s blues dont la première
phrase vaut repère « I wake up this morning », mais les repères
sonores et rythmiques du blues sont effectivement déplacées dans un bain sonore
funk seventies à base de claviers. Le chant et la musique échangent dans
l’enjouement quand roule le mot « blues ». Nous sommes dans le monde
de la danse et du solo improvisé de guitare désinvolte, prenant ses aises,
étirant quelques notes. Le sautillement deviendrait presque reggae, n’était son
dynamisme. On enchaîne avec Special
people avec des lignes jazz de piano, une atmosphère de contrebasse au fond
du bar, un chant qui s’envole en clarté lyrique sur certaines fins de phrase.
L’orchestration est très riche et classieuse, mais avec cette base blues-funk
irrépressible. Avec son potentiel vocal limité, Betty Davis se débrouille
habilement pour voyager sur certains registres que j’ai un peu de mal ici à
présenter par les mots justes. Le morceau s’évanouit aussi avec ce côté non
fini du morceau qui devient du coup aussi la note de non finition pour la sortie
de l’artiste en fin d’album. Le morceau ne s’est pas vraiment arrêté, nous
sommes passés dans la pièce à côté.
Les
morceaux les plus âpres sont au début de l’album. Il s’ouvre par Shoo-B-Doop and cop him avec une
importante présence du trio en chœur féminin. Les notes sont syncopées dans la
distance. La tension est très rock, mais sur un rythme slow. Certaines
sonorités étranges, osées apparaissent. Il y a du jeu dans un morceau puissant
avec sa charge soul, sa pesanteur de relation chanteur et chœurs. C’est un
morceau calme marqué de très fortes présences avec des montées soudaines dans
une vitalité continue, mais contenue. Les instruments proposent un bain sonore
et un entremêlement de leurs motifs respectifs. Le fade out est à l’ordre du
jour pour clore les chansons. Le second titre commence par la phrase braillée He was a big freak. Le morceau démarre
avec un super jeu structuré de clavier et des espèces de contre-temps dans les
basses. C’est une fête musicale reposée, mais coupée par les quasi cris, les
chuintements en tout cas d’une chanteuse excitée qui alterne toutefois avec des
phrasés plus clairs, plus posés. On retrouve l’entremêlement des constantes du
chant de Betty Davis, le roulement tendre et les dominantes gutturales. Aux
deux tiers de la chanson, il y a un moment planant hyper bien amené, une sorte
de temps magique. Puis on repart dans le rythme qui fait l’essentiel du morceau
avec la voix forcée de Betty Davis qui communique son agressivité sexuelle, sa
rage de vie. Nous enchaînons avec le balancement funk impeccable de Your mama wants ya back, un titre
dansant exceptionnel qui pénètre les fibres musicales du corps humain. C’est à
l’évidence une référence funk. L’instrumentation est en même temps complexe et
riche. Un morceau vif enchaîne, à savoir Don’t
call her no tramp. On retrouve une Betty Davis dans tout ce qu’elle
affectionne en matière de musique funk envolée. Là encore les claviers
prédominent. Les motifs se superposent, le rythme est syncopé, marqué de petits
arrêts et d’effets complexes. Betty Davis tire ici certains effets étonnants de
sa voix comédienne. Le morceau se poursuit sur une rage des rues, avec les
chœurs, certains bruitages. Mais la fin dansante déborde tout, avec juste le
« No no no » répété pour accentuer le sens du titre de la chanson
tout de même en finale. Un titre » funk plus sauvage apparaît sur l’album
avec Git in there. Dommage qu’il soit
difficile de commenter des titres qui les uns après les autres montrent la
réussite du groovfe d’une artiste funk d’exception. Le titre est
alimenté par des échanges à plusieurs voix où quelques hommes donnent une
note grave dans les basses. Il s’agit d’un titre pour se laisser aller.
Cet
album offre quatre bonus tracks, mais aucune chanson inédite, juste quatre
versions différentes de la moitié de l’album avec He was a big freak, Don’t
call her no tramp, Git in there
et 70’s Blues. Les morceaux ont été
enregistrés au tournant de 1973-1974. L’album est sorti en 1974. J’ai encore
deux albums géniaux à présenter de Betty Davis, voilà la bonne nouvelle. Je
n’ai plus que deux albums géniaux à signaler à l’attention de la part de Betty
Davis, voilà, en revanche, la mauvaise nouvelle.
Nous
n’avons pu demander à Rimbaud pourquoi il avait renoncé à la poésie et comment
il avait vécu cela. Le silence de Rimbaud n’ayant rien que de très naturel à
mon sens, vu ce qu’il s’est passé, proposons-nous tout de même d’ouvrir une
fenêtre sur les réponses de Betty Davis à ce genre de questions (simple
précision, après ces trois premiers albums, Betty a enregistré deux albums au
même titre qui sont demeurés inédits, seul le premier est génial, l’autre plus
tardif est un peu désappointant malgré le papier qui signale notamment la
collaboration de Marthe Reeves sans que je n’ai tout bien compris) :
-
Did
you record any material after your fifth album ?
-
No.
-
Why
not ?
-
I
just didn’t.
-
Did
you no longer have any interest in making music ?
-
I
thought about it, but I just lost interest.
-
Why
did you let music go ?
-
I
just did, that’s all.
-
Have
you missed it since ?
-
No.
-
When
you stopped making music, what did you do instead ?
-
Nothing
really.
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