Dans
la bonne tradition du rock « garage » sixties, le Chocolate Watch Band est le groupe de
deux premiers albums remarquables, le troisième est déjà dispensable. Il s’agit
pourtant et en outre de l’une des formations de référence du garage sixties.
Attention, il n’a pas existé de catégorie garage sixties. Il s’agit d’une
invention a posteriori. Il existe un
courant de rock garage depuis le début des années 80 et l’étiquette garage
s’est depuis lors appliquée à des groupes de rock sixties qui n’ont pas connu
le succès, mais auxquels, par leur recherche de la chose rare méconnue sans
passé commercial, les formations garage post 1980 ont contribué à étendre la
dénomination garage. Il s’est dégagé comme un espace rock réservé aux
connaisseurs qui n’écouteront pas que les succès dans le vent. En réalité, les
groupes garage sixties sont des artistes rock qui n’ont simplement pas connu le
succès. Il n’y avait aucune volonté d’échouer commercialement, ni l’idéologie
du rock garage en tant que tel. En même temps, la quasi totalité de ces groupes
ont une carrière éphémère qui peut se réduire à l’unique 45 tours sans même un curriculum vitae pour dire qui sont les
interprètes. Les grands groupes garages sixties sont très souvent les artistes
de deux grands premiers albums, soit que leur carrière se soit arrêtée là, soit
que par la suite ils déclinèrent pour diverses raisons, soit que le nom du
groupe cacha un changement de personnel (cas célèbre des Electric prunes). Il se trouve que le Chocolate Watch Band est l’une des formations les plus célèbres du
rock garage aux côtés notamment des Shadows
of knight. Le problème, c’est que leur histoire est compliquée. Le groupe
fut à la merci de directives de studio et une partie de leur répertoire n’est
pas jouée par eux, y compris sur les deux premiers albums, tandis que leur
troisième album se révèle faiblard.
Ceci
est d’autant plus piquant que, du coup, ceux qui savent que le Chocolate Watch
Band est une référence majeure ne vont pas hésiter à prétendre que les versions
de tels titres sont meilleures par le Chocolate Watch Band que par d’autres
formations moins connues. Deux chansons sont concernées. Premièrement, la
chanson In the past est
une perle sublime. Pourtant, il s’agit d’une composition originale d’une
formation garage sixties de Virginie We
the people qui l’était pas si obscure que cela, même si elle n’a pas la
légende et publicité du Chocolate Watch Band. Or, non seulement la version
originale d’In the past est meilleure
par We the people, mais la version
attribuée au Chocolate Watch Band a
été enregistrée à une époque de dissolution du groupe par une autre formation The Yo-Yo’s. En gros, celui qui prétend
que la version In the past est
meilleure par le Chocolate Watch Band que par We the people n’est pas seulement
en train de se leurrer en croyant qu’il est évident de mettre le groupe
californien au-dessus du sublime groupe de Virginie, mais il est en train de
vous expliquer, sans s’en rendre compte évidemment, que les Yo-Yo’s sont un
excellent groupe qui se situe entre le Chocolate Watch Band et We the people.
L’autre
erreur consiste à considérer que la version de I ain’t a miracle worker par cette fois les authentiques Chocolate
Watch Band est forcément meilleure par eux que dans la version antérieure d’un
groupe aussi obscur que les Brogues
qui n’existent qu’en 45 tours. Ephémères, les Brogues comptent deux futurs Quicksilver Messenger Service. Non pas
Cipollina, mais déjà le guitariste Gary Duncan qui travaillait aux compositions
du groupe.
Des
erreurs en sens inverse peuvent être commises. Conscients que certains titres
ne sont pas du Chocolate Watch Band, certains vont cracher sur la suite de
perles psychédéliques enregistrées par les Yo-Yo’s. En réalité, comme pour In the past, la suite psychédélique
n’est pas mauvaise du tout. Elle vaut toujours mieux que les enregistrements du
troisième album où sont revenus d’authentiques membres du Chocolate Watch Band.
Les titres enregistrés par les Yo-Yoz furent très bons, sauf qu’ils n’étaient
du coup pas caractéristiques de ce qui fait qu’aujourd’hui encore on se mord
les doigts de ne pas avoir su mettre en avant ce qui faisait le génie
d’interprétation à part entière des authentiques Chocolate Watch Band. Enfin,
sur certains titres, la voix du chanteur original Dave Aguilar du Chocolate
Watch Band n’apparaît pas, au profit de la voix plus théâtrale et classique de
Doug Bennett. Mais, Doug Bennett n’est pas une mauvaise contribution en soi à
un moment où il faut finir d’enregistrer les morceaux d’un groupe
provisoirement dissout. Doug Bennett a d’ailleurs amené une composition au
groupe. Quant aux versions de ces mêmes chansons chantées par Dave Aguilar sur
la compilation Melts in your brain,
il s’agit d’enregistrement vocaux ratés 27 à 28 ans après la saisie des parties
instrumentales.
Résultat
des courses, il est intéressant de comprendre ce qu’il s’est passé et à quel
point le Chocolate Watch Band a été traité comme un groupe de studio non
propriétaire de son nom d’artiste. Il est important de déterminer ce qu’ils ont
précisément enregistré. Mais, pour le plaisir de l’écoute, on ne peut que
donner tout faux à l’anthologie Melts in
your brain : elle réunit l’intégralité des enregistrements sur deux
CD, mais avec la bêtise de philologues qui ne songent même pas qu’ils vont tout
gâcher. Le superbe single stonien est précédé des faux départs. Quelle
puissance de vue ! Certains titres mitigés des débuts précèdent les temps
forts réels des deux premiers albums. Mieux encore, les versions réenregistrées
en 2005 avec la voix de Dave Aguilar sont présentées dans le corps des
productions d’époque et les interprétations vocales de Doug Bennett, meilleures
puisque d’époque, etc., sont repoussées sur le second CD. Les deux grands
albums sont disloqués, et les chansons des Yo-Yo’s tendent à être reportées à
la fin du second CD après la série de ratages du troisième album que peu de
gens écouteront bien volontiers, y compris parmi les fans connaisseurs en sixties
bien évidemment. Bref, l’anthologie Melts
in your brain ne me paraît pas du tout indiquée pour apprécier le Chocolate Watch Band. Pour ma part,
j’écoute directement les deux albums tels quels No way out et The Inner
mystique que je possède réunis sur un seul CD. Cela peut suffire comme
achat, puisque l’autre chef-d’œuvre en single Sweet young thing figure au moins sur le premier coffret Nuggets. J’ai tout de même acheté la
compilation 44 pour récupérer l’œuvre
en 45 tours, je l’écoute en sélectionnant ce qu’il y a de meilleur, notamment
l’original Loose lip sync ship. Je
privilégie bien sûr les deux albums originaux, et je n’écoute pour ainsi dire
jamais la compilation Melts in your brain,
achetée par acquis de conscience sur le tard, ni donc ce troisième album raté
qui y figure.
Deux
titres ont été enregistrés sous le nom The
Hogs. En face A, la reprise instrumentale de Dave Allan and the Arrows, le fameux Blues theme présent sur le premier coffret Nuggets est anecdotique.
C’est la face B qui retient l’attention avec Loose lip sync ship qui, terrible humiliation, sera retravaillé
avec les Yo-Yo’s pour réapparaître avec changement de titre sur le second album
du groupe, raison de plus pour acheter un CD en plus des deux albums servis
tels quels. Nous sommes en 1966. Mais, cette année-là même, sort un 45 tours
exceptionnel. En face A, nous avons droit à une création stonienne d’Ed Cobb
(inspirée de Paint it black pour
partie) Sweet young thing qui,
heureusement, n’a pas rejoint le répertoire d’à mon sens les un peu mitigés Standells, mais celui des fabuleux Chocolate Watch Band. La face Baby blue est une géniale reprise du It »s all over now baby blue déjà
transcendé par Van Morrison et ses Them.
J’avoue apprécier le single de chansons plus douces Misty lane et She weaves a
tender trap, ce dernier titre étant d’Ed Cobb lui-même.
Bon,
maintenant, j’en viens au moment où je dois avouer lâchement que, bien
paresseux, je ne vais pas me lever pour saisir mon CD des deux premiers albums
du groupe. Il est censé y avoir tout sur le Melts
in your brain. Seul inconvénient, pas facile de recomposer le contenu de
chacun des albums avec leur façon de présenter les choses. Même les références
de disques après chaque titre posent problème. A l’évidence que certains titres
furent édités plusieurs fois, je pige que dalle. Donc, en gros, et sans doute
dans le désordre, sur le premier album, vous allez voir les perles suivantes
très représentatives du génie particulier au groupe : Let’s talk about girls avec la voix de Doug Bennett qui assure
n’était une petite tendance à la manière appuyée exagérée, Don’t need your lovin’ (à moins que ce titre ne soit pas sur le
premier album, plutôt sur 44, mais
peu importe il entre bien dans la série), Sitting
there standing (même remarque et même là j’en suis encore plus sûr), Are you gonna be there (at the love in)
qui est une co-composition de Bennett avec la voix d’Aguilar (eh oui !), No way out (inflexion déjà très
psychédélique pour une composition d’Ed Cobb le grand, sauf qu’il a plagié… un
morceau de jam demeuré inédit des Chocolate
Watch Band, Psychedelic trip qui
figure sur l’intégrale avec les vrais crédits d’auteur), des reprises de Wilson
Pickett et Chuck Berry : In the
midnight hour chanté par Doug Bennett qui assure et Come on qui est surdéterminée par l’exemple des Rolling stones en
63 bien que l’original soit superbe, puis le franchement psyché digne du second
album Gone and passes by qui est une
composition du chanteur David Aguilar. Fuck the Yo-Yoz. Sur cet album, on
trouve encore Hot dusty road et Gossamer wings. Le premier de ces deux
titres (une reprise du premier album de Buffalo Springfield signée Stephen
Stills) est chanté par Doug Bennett et il assure. Mais, le second titre,
par qui est-il chanté ? Eheh, ce serait une autre composition de Don
Bennett pour le groupe. Pourquoi je
l’appelle Doug, c’est pas Don ? Mais, attention, c’est plus retors que ça
car Gossamer wings plagie la face B Loose lip sync ship composée David
Aguilar et Mark Loomis. Il y a encore des titres psychédéliques sur ce premier
album à tel point que l’enchaînement des deux albums avec passage par les Yo-Yoz
se fait tout naturellement sur mon CD double album. Et yipee yipee yé. Ce sont Dark side of the mushroom et Expo 2000. Ce sont deux compositions
attachées à un certain Richie Podolor. Voilà, tous les titres que je viens de
citer sont géniaux et vous n’en voudrez pas à Don Bennett de remplacer David
Aguilar au pied sur le chant de certains morceaux, puisqu’Aguilar ne s’était
même pas donné la peine d’enregistrer sa voix sur la musique de ses compères.
Passons
au deuxième album. Cela commence par un titre de The Inmates avec le chant de Don Bennett Let’s go, Let’s go, Let’s go, un parfum de Chocolate Watch Band, mais un parfum seulement, puisque ce n’est
pas le groupe. Il s’agit d’une reprise
de Hank Ballard, celui qui a inventé le titre The Twist que bien sûr ne manqua pas de reprendre Chubby Checker.
Suit la série des interprétations des Yo-Yoz. Nous avons droit à Voyage of the Trieste signé Ed Cobb, In the past composition de Proctor
reprise à We the people et The Inner mystique, autre composition
d’Ed Cobb le grand. Inconscient des histoires de Yo-Yoz à l’origine, ne
connaissant pas même We the people,
j’ai adoré ces trois titres comme trois coups de génie du groupe. C’est pour
cela que l’entreprise de charité de la compilation Melts in your brain me paraît bien vaseuse avec sa redistribution
et ses réenregistrements avec la voix de David Aguilar vieux, longtemps,
longtemps après les faits.
Nous
continuons avec un remix de la reprise de Dylan It‘s all over now, baby blue. Sur Melts in your brain, le titre est raccourci en Baby blue. C’est évidemment superbe. Venge-toi, David
Aguilar ! Vient alors si mes souvenirs sont bons une chanson que j’adore.
Comme Sweet young thing s’inspirait
de Paint it black, Medication s’inspire de Satisfaction. Voyez la rime du titre et
le riff. Mais, le morceau a son originalité propre et c’est vraiment prenant.
Les compositeurs sont de parfaits inconnus que je sache : Minette Alton et
Ben Ditosti. Ce n’est pas que le morceau soit génialement élaboré, mais il a la
note juste surfant habilement sur la force du morceau qui l’inspire. Une autre
reprise à se mettre à genoux avec le I’m
not like everybody else obsessionnel et hystérique des Kinks. Il me reste à
évoquer leur grand titre I ain’t a
miracle worker, jsute que je les ai justement un peu sabrés là-dessus en
rappelant la version des Brogues. A noter tout de même que ce titre superbe est
une création de deux compositrices d’une partie du répertoire des Electric prunes, à savoir Nancy Mantz et
Annette Tucker.
Le
double CD d’intégrale du groupe contient certains titres inédits. Deux plages
de versions différentes de deux titres connus sont présentées comme des backing
tracks : Let’s go, let’s go, let’s
go par The Inmates et Psychedelic trip. Il y a aussi une
variante de Voyage of the Trieste
intitulée The Uncharted sea par The Yo-Yoz.
En 1983 a été éditée une reprise de Milk cow blues, témoin au passage d’une
influence plus grande des Kinks. Deux titres furent édités en 1993 : Don’t let the sun catch you crying et
une reprise des Everly Brothers, Since you broke my heart. Cela doit déjà
faire partie de la dynamique faible du dernier album. Nous sommes loin des
Everly brothers pour ce qui est de la reprise elle-même. Bon, je passe sur les
titres décevants composés par les membres authentiques du groupe, mais sans
David Aguilar tout de même. Je donne la liste de ce qui n’est pas très bon, de
ce qui montre le groupe sous un jour franchement méconnaissable : Uncle Morris (un peu à la Moby Grape), How ya been (inspiré de Steve Marriott des Small faces, mais sans le niveau), Devil’s motorcycle, I don’t
need no doctor, Flowers
(imitation d’Arthur Lee et Love qui a son charme, mais pas le
niveau), Fireface, And she’s lonely.
Au
final, c’est le chanteur David Aguilar qui s’est fait le plus malmené au sein
du groupe. Il ne chante pas sur plusieurs titres, faute d’avoir enregistré à
temps quand le groupe était fonctionnel. Ensuite, deux compositions où il est
visiblement pour quelque chose sont tombées dans les mannes respectives d’Ed
Cobb et Don Bennett. Psychedelic trip
est devenu No way out et Loose lip sync ship est devenu Gossamer wings. Et c’est un fait que
l’orientation et le potentiel psychédéliques étaient dans la formation
authentique, comme en témoigne encore ce titre composé par David Aguilar
seul : Gone and passes by. Je
n’ai pas encore eu le courage de lire le livret de Melts in your brain, même si je suis parvenu à tenir cette notice.
Pas grave. J’en ai déjà dit pas mal.
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