dimanche 6 novembre 2011

35 & 36. Chocolate Watch Band : No way out / The Inner mystique, plus 44 et Melts in your brain… not on your wrist (the complete recordings !)

Dans la bonne tradition du rock « garage » sixties, le Chocolate Watch Band est le groupe de deux premiers albums remarquables, le troisième est déjà dispensable. Il s’agit pourtant et en outre de l’une des formations de référence du garage sixties. Attention, il n’a pas existé de catégorie garage sixties. Il s’agit d’une invention a posteriori. Il existe un courant de rock garage depuis le début des années 80 et l’étiquette garage s’est depuis lors appliquée à des groupes de rock sixties qui n’ont pas connu le succès, mais auxquels, par leur recherche de la chose rare méconnue sans passé commercial, les formations garage post 1980 ont contribué à étendre la dénomination garage. Il s’est dégagé comme un espace rock réservé aux connaisseurs qui n’écouteront pas que les succès dans le vent. En réalité, les groupes garage sixties sont des artistes rock qui n’ont simplement pas connu le succès. Il n’y avait aucune volonté d’échouer commercialement, ni l’idéologie du rock garage en tant que tel. En même temps, la quasi totalité de ces groupes ont une carrière éphémère qui peut se réduire à l’unique 45 tours sans même un curriculum vitae pour dire qui sont les interprètes. Les grands groupes garages sixties sont très souvent les artistes de deux grands premiers albums, soit que leur carrière se soit arrêtée là, soit que par la suite ils déclinèrent pour diverses raisons, soit que le nom du groupe cacha un changement de personnel (cas célèbre des Electric prunes). Il se trouve que le Chocolate Watch Band est l’une des formations les plus célèbres du rock garage aux côtés notamment des Shadows of knight. Le problème, c’est que leur histoire est compliquée. Le groupe fut à la merci de directives de studio et une partie de leur répertoire n’est pas jouée par eux, y compris sur les deux premiers albums, tandis que leur troisième album se révèle faiblard.
Ceci est d’autant plus piquant que, du coup, ceux qui savent que le Chocolate Watch Band est une référence majeure ne vont pas hésiter à prétendre que les versions de tels titres sont meilleures par le Chocolate Watch Band que par d’autres formations moins connues. Deux chansons sont concernées. Premièrement, la chanson In the past est une perle sublime. Pourtant, il s’agit d’une composition originale d’une formation garage sixties de Virginie We the people qui l’était pas si obscure que cela, même si elle n’a pas la légende et publicité du Chocolate Watch Band. Or, non seulement la version originale d’In the past est meilleure par We the people, mais la version attribuée au Chocolate Watch Band a été enregistrée à une époque de dissolution du groupe par une autre formation The Yo-Yo’s. En gros, celui qui prétend que la version In the past est meilleure par le Chocolate Watch Band que par We the people n’est pas seulement en train de se leurrer en croyant qu’il est évident de mettre le groupe californien au-dessus du sublime groupe de Virginie, mais il est en train de vous expliquer, sans s’en rendre compte évidemment, que les Yo-Yo’s sont un excellent groupe qui se situe entre le Chocolate Watch Band et We the people.
L’autre erreur consiste à considérer que la version de I ain’t a miracle worker par cette fois les authentiques Chocolate Watch Band est forcément meilleure par eux que dans la version antérieure d’un groupe aussi obscur que les Brogues qui n’existent qu’en 45 tours. Ephémères, les Brogues comptent deux futurs Quicksilver Messenger Service. Non pas Cipollina, mais déjà le guitariste Gary Duncan qui travaillait aux compositions du groupe.
Des erreurs en sens inverse peuvent être commises. Conscients que certains titres ne sont pas du Chocolate Watch Band, certains vont cracher sur la suite de perles psychédéliques enregistrées par les Yo-Yo’s. En réalité, comme pour In the past, la suite psychédélique n’est pas mauvaise du tout. Elle vaut toujours mieux que les enregistrements du troisième album où sont revenus d’authentiques membres du Chocolate Watch Band. Les titres enregistrés par les Yo-Yoz furent très bons, sauf qu’ils n’étaient du coup pas caractéristiques de ce qui fait qu’aujourd’hui encore on se mord les doigts de ne pas avoir su mettre en avant ce qui faisait le génie d’interprétation à part entière des authentiques Chocolate Watch Band. Enfin, sur certains titres, la voix du chanteur original Dave Aguilar du Chocolate Watch Band n’apparaît pas, au profit de la voix plus théâtrale et classique de Doug Bennett. Mais, Doug Bennett n’est pas une mauvaise contribution en soi à un moment où il faut finir d’enregistrer les morceaux d’un groupe provisoirement dissout. Doug Bennett a d’ailleurs amené une composition au groupe. Quant aux versions de ces mêmes chansons chantées par Dave Aguilar sur la compilation Melts in your brain, il s’agit d’enregistrement vocaux ratés 27 à 28 ans après la saisie des parties instrumentales.
Résultat des courses, il est intéressant de comprendre ce qu’il s’est passé et à quel point le Chocolate Watch Band a été traité comme un groupe de studio non propriétaire de son nom d’artiste. Il est important de déterminer ce qu’ils ont précisément enregistré. Mais, pour le plaisir de l’écoute, on ne peut que donner tout faux à l’anthologie Melts in your brain : elle réunit l’intégralité des enregistrements sur deux CD, mais avec la bêtise de philologues qui ne songent même pas qu’ils vont tout gâcher. Le superbe single stonien est précédé des faux départs. Quelle puissance de vue ! Certains titres mitigés des débuts précèdent les temps forts réels des deux premiers albums. Mieux encore, les versions réenregistrées en 2005 avec la voix de Dave Aguilar sont présentées dans le corps des productions d’époque et les interprétations vocales de Doug Bennett, meilleures puisque d’époque, etc., sont repoussées sur le second CD. Les deux grands albums sont disloqués, et les chansons des Yo-Yo’s tendent à être reportées à la fin du second CD après la série de ratages du troisième album que peu de gens écouteront bien volontiers, y compris parmi les fans connaisseurs en sixties bien évidemment. Bref, l’anthologie Melts in your brain ne me paraît pas du tout indiquée pour apprécier le Chocolate Watch Band. Pour ma part, j’écoute directement les deux albums tels quels No way out et The Inner mystique que je possède réunis sur un seul CD. Cela peut suffire comme achat, puisque l’autre chef-d’œuvre en single Sweet young thing figure au moins sur le premier coffret Nuggets. J’ai tout de même acheté la compilation 44 pour récupérer l’œuvre en 45 tours, je l’écoute en sélectionnant ce qu’il y a de meilleur, notamment l’original Loose lip sync ship. Je privilégie bien sûr les deux albums originaux, et je n’écoute pour ainsi dire jamais la compilation Melts in your brain, achetée par acquis de conscience sur le tard, ni donc ce troisième album raté qui y figure.
Deux titres ont été enregistrés sous le nom The Hogs. En face A, la reprise instrumentale de Dave Allan and the Arrows, le fameux Blues theme présent sur le premier coffret Nuggets est anecdotique. C’est la face B qui retient l’attention avec Loose lip sync ship qui, terrible humiliation, sera retravaillé avec les Yo-Yo’s pour réapparaître avec changement de titre sur le second album du groupe, raison de plus pour acheter un CD en plus des deux albums servis tels quels. Nous sommes en 1966. Mais, cette année-là même, sort un 45 tours exceptionnel. En face A, nous avons droit à une création stonienne d’Ed Cobb (inspirée de Paint it black pour partie) Sweet young thing qui, heureusement, n’a pas rejoint le répertoire d’à mon sens les un peu mitigés Standells, mais celui des fabuleux Chocolate Watch Band. La face Baby blue est une géniale reprise du It »s all over now baby blue déjà transcendé par Van Morrison et ses Them. J’avoue apprécier le single de chansons plus douces Misty lane et She weaves a tender trap, ce dernier titre étant d’Ed Cobb lui-même.
Bon, maintenant, j’en viens au moment où je dois avouer lâchement que, bien paresseux, je ne vais pas me lever pour saisir mon CD des deux premiers albums du groupe. Il est censé y avoir tout sur le Melts in your brain. Seul inconvénient, pas facile de recomposer le contenu de chacun des albums avec leur façon de présenter les choses. Même les références de disques après chaque titre posent problème. A l’évidence que certains titres furent édités plusieurs fois, je pige que dalle. Donc, en gros, et sans doute dans le désordre, sur le premier album, vous allez voir les perles suivantes très représentatives du génie particulier au groupe : Let’s talk about girls avec la voix de Doug Bennett qui assure n’était une petite tendance à la manière appuyée exagérée, Don’t need your lovin’ (à moins que ce titre ne soit pas sur le premier album, plutôt sur 44, mais peu importe il entre bien dans la série), Sitting there standing (même remarque et même là j’en suis encore plus sûr), Are you gonna be there (at the love in) qui est une co-composition de Bennett avec la voix d’Aguilar (eh oui !), No way out (inflexion déjà très psychédélique pour une composition d’Ed Cobb le grand, sauf qu’il a plagié… un morceau de jam demeuré inédit des Chocolate Watch Band, Psychedelic trip qui figure sur l’intégrale avec les vrais crédits d’auteur), des reprises de Wilson Pickett et Chuck Berry : In the midnight hour chanté par Doug Bennett qui assure et Come on qui est surdéterminée par l’exemple des Rolling stones en 63 bien que l’original soit superbe, puis le franchement psyché digne du second album Gone and passes by qui est une composition du chanteur David Aguilar. Fuck the Yo-Yoz. Sur cet album, on trouve encore Hot dusty road et Gossamer wings. Le premier de ces deux titres (une reprise du premier album de Buffalo Springfield signée Stephen Stills) est chanté par Doug Bennett et il assure. Mais, le second titre, par qui est-il chanté ? Eheh, ce serait une autre composition de Don Bennett pour le groupe.  Pourquoi je l’appelle Doug, c’est pas Don ? Mais, attention, c’est plus retors que ça car Gossamer wings plagie la face B Loose lip sync ship composée David Aguilar et Mark Loomis. Il y a encore des titres psychédéliques sur ce premier album à tel point que l’enchaînement des deux albums avec passage par les Yo-Yoz se fait tout naturellement sur mon CD double album. Et yipee yipee yé. Ce sont Dark side of the mushroom et Expo 2000. Ce sont deux compositions attachées à un certain Richie Podolor. Voilà, tous les titres que je viens de citer sont géniaux et vous n’en voudrez pas à Don Bennett de remplacer David Aguilar au pied sur le chant de certains morceaux, puisqu’Aguilar ne s’était même pas donné la peine d’enregistrer sa voix sur la musique de ses compères.
Passons au deuxième album. Cela commence par un titre de The Inmates avec le chant de Don Bennett Let’s go, Let’s go, Let’s go, un parfum de Chocolate Watch Band, mais un parfum seulement, puisque ce n’est pas le groupe.  Il s’agit d’une reprise de Hank Ballard, celui qui a inventé le titre The Twist que bien sûr ne manqua pas de reprendre Chubby Checker. Suit la série des interprétations des Yo-Yoz. Nous avons droit à Voyage of the Trieste signé Ed Cobb, In the past composition de Proctor reprise à We the people et The Inner mystique, autre composition d’Ed Cobb le grand. Inconscient des histoires de Yo-Yoz à l’origine, ne connaissant pas même We the people, j’ai adoré ces trois titres comme trois coups de génie du groupe. C’est pour cela que l’entreprise de charité de la compilation Melts in your brain me paraît bien vaseuse avec sa redistribution et ses réenregistrements avec la voix de David Aguilar vieux, longtemps, longtemps après les faits.
Nous continuons avec un remix de la reprise de Dylan It‘s all over now, baby blue. Sur Melts in your brain, le titre est raccourci en Baby blue. C’est évidemment superbe. Venge-toi, David Aguilar ! Vient alors si mes souvenirs sont bons une chanson que j’adore. Comme Sweet young thing s’inspirait de Paint it black, Medication s’inspire de Satisfaction. Voyez la rime du titre et le riff. Mais, le morceau a son originalité propre et c’est vraiment prenant. Les compositeurs sont de parfaits inconnus que je sache : Minette Alton et Ben Ditosti. Ce n’est pas que le morceau soit génialement élaboré, mais il a la note juste surfant habilement sur la force du morceau qui l’inspire. Une autre reprise à se mettre à genoux avec le I’m not like everybody else obsessionnel et hystérique des Kinks. Il me reste à évoquer leur grand titre I ain’t a miracle worker, jsute que je les ai justement un peu sabrés là-dessus en rappelant la version des Brogues. A noter tout de même que ce titre superbe est une création de deux compositrices d’une partie du répertoire des Electric prunes, à savoir Nancy Mantz et Annette Tucker.
Le double CD d’intégrale du groupe contient certains titres inédits. Deux plages de versions différentes de deux titres connus sont présentées comme des backing tracks : Let’s go, let’s go, let’s go par The Inmates et Psychedelic trip. Il y a aussi une variante de Voyage of the Trieste intitulée The Uncharted sea par The Yo-Yoz.
 En 1983 a été éditée une reprise de Milk cow blues, témoin au passage d’une influence plus grande des Kinks. Deux titres furent édités en 1993 : Don’t let the sun catch you crying et une reprise des Everly Brothers, Since you broke my heart. Cela doit déjà faire partie de la dynamique faible du dernier album. Nous sommes loin des Everly brothers pour ce qui est de la reprise elle-même. Bon, je passe sur les titres décevants composés par les membres authentiques du groupe, mais sans David Aguilar tout de même. Je donne la liste de ce qui n’est pas très bon, de ce qui montre le groupe sous un jour franchement méconnaissable : Uncle Morris (un peu à la Moby Grape), How ya been (inspiré de Steve Marriott des Small faces, mais sans le niveau), Devil’s motorcycle, I don’t need no doctor, Flowers (imitation d’Arthur Lee et Love qui a son charme, mais pas le niveau), Fireface, And she’s lonely.
Au final, c’est le chanteur David Aguilar qui s’est fait le plus malmené au sein du groupe. Il ne chante pas sur plusieurs titres, faute d’avoir enregistré à temps quand le groupe était fonctionnel. Ensuite, deux compositions où il est visiblement pour quelque chose sont tombées dans les mannes respectives d’Ed Cobb et Don Bennett. Psychedelic trip est devenu No way out et Loose lip sync ship est devenu Gossamer wings. Et c’est un fait que l’orientation et le potentiel psychédéliques étaient dans la formation authentique, comme en témoigne encore ce titre composé par David Aguilar seul : Gone and passes by. Je n’ai pas encore eu le courage de lire le livret de Melts in your brain, même si je suis parvenu à tenir cette notice. Pas grave. J’en ai déjà dit pas mal.

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