Un nombre considérable de gens ânonnent qu’ils aiment bien les Sonics, parce que la symbolique garage en est bien établie et mythique, parce que le son est celui de guitares au son pré-punk d’une sauvagerie rare en 65 ou 66, mais parler leur des Wailers et ils sont tous aux abonnés absents. Ils vous diront peut-être pour montrer qu’ils ont de la culture que ce sont les frères aînés des Sonics ou un truc dans le genre. Voir l’incapacité des gens à passer des Sonics aux Wailers, c’est décidément un excellent moyen de cerner les gens auxquels on a affaire.
La seule personne que j’ai jamais su convertir aux Wailers, c’est mon père. Rien à voir avec le groupe de Bob Marley, le chanteur de reggae dont l’intégrité sort hyper compromise de ses rapports conciliants avec la pègre jamaïcaine, les Wailers est un groupe rock fabuleux qu’on appelait parfois The Fabulous Wailers, ce qui coupe court à tout risque de confusion. J’ai connu les Wailers avant les Sonics, et même bien avant la plupart des artistes sixties obscurs que j’écoute aujourd’hui. C’est Tatane, le fondateur de la revue Nineteen, qui m’a mis la compilation décrite ici sous les yeux quand j’étais dans l’antre nommé l’Armadillo de la rue des pharaons à Toulouse. Il s’agit d’un groupe de rock qui fait finalement la transition entre l’âge d’or du rock’n’roll de 55 à 59 aux Etats-Unis et le début de la nouvelle ère rock provoquée par la British Invasion de 63-65. Ce groupe de rock a encore un pied dans les fifties, par le son, le style d’orchestre et la part importante du saxophone. Le son rock du saxophone s’est hélas perdu par la suite. La musique pulse et elle est d’une sauvagerie incomparable dans son respect mélodique et harmonique d’un rock première période non saturé à la guitare. En plus, j’ai une affection particulière pour le son de la guitare de 55 à 65. Il y a bien sûr le son de Chuck Berry, mais j’adore me retrouver dans le son des guitares des Rolling stones sur leurs premiers albums de 64-65. Et j’ai toujours eu l’impression que le rock garage n’avait pas compris, n’avait pas eu d’oreille à ce sujet. Ils sont trop dans la volonté de montrer qu’ils sont des primaires non commerciaux et pas assez dans le plaisir du mélomane du rock. L’album de compilation commence par un instrumental Wailers House Party toutes guitares dehors. Il se poursuit par l’original rock de Louie Louie. Il s’agit d’un titre de la fin des années 40 du bluesman Richard Berry. Ce sont les Wailers qui en ont livré la première version rock et c’est la version qui devrait servir de référence. Dans la foulée, un groupe sans grand intérêt a enregistré le morceau maladroitement, mais leur arrangement a fait mouche et la gloire est venue aux Kingsmen. Louie Louie et Hey Joe sont les deux chansons qui, de manière incompréhensible, vont être massivement reprises par les groupes de rock. J’avoue que le phénomène mouton de Panurge ne manque pas de m’agacer. Je n’ai jamais acheté l’album In person des Kingsmen, car, à part Louie Louie, ils sont radicalement sans intérêt. Mais, la compilation se poursuit avec des morceaux scotchants. Frenzy suit tranquillement Louie Louie, Mashi enchante avec un instrumental savant et soyeux de début sixties, Dirty Robber envoie la sauce rock’n’roll dans l’esprit d’un Little Richard, San-ho-zay nous replonge dans l’instrumental délicieux, l’instrumental Sac O’Woe prend le relais avec sa propre architecture rythmique puissante, juste avant un Limbo twist qui n’a rien à voir avec du Chubby Checker, puis c’est la plongée dans le déchiré Since you been gone, qui se fait relayer par un amusé instrumental Tough walk avec un début pianistique de blues lent à la Chuck Berry puis l’envolée guitare. Tall cool one, instrumental tendu, fait reconverger l’attention au point rock. L’effusion rythmique jouissive s’emballe, en tout bien tout honneur, puis encore une introduction par martèlement à la batterie, le son est mat, les notes de la basse se perdent, puis une mélodie décidée fait partie le morceau entraînant la mélodie du saxophone. Le piano impose ensuite sa mélodie pendant que le rythme tourne, la guitare le relaie avec cette espèce de son creux, sonore et résonant qui fait vague et qui aligne les notes voluptueuses dans le lent contraste des unes et des autres, mais avec toujours ce zest d’accentuation rythmique, et ça repart sur le saxophone, puis un break solo de batterie, puis la basse surfe et le groupe tape des mains dans l’évanouissement final du morceau. Vient alors le grand cri et la parodie folle de voix femelle, et c’est le jouissif Isabella qui absorbe l’auditeur dans la frénésie rock. Et dire que cela s’enchaîne avec l’obsessionnel et hypnotique Zig Zag au rythme accentué qui sautille comme un esprit gamin qu’accompagne la délicatesse d’un solo de guitare plus adulte. Quelques ruptures, le morceau se recadre rythmiquement, mais il revient au relief tête de sa mélodie instrumentale sautillante. Le vertige revient alors avec le puissant Shakedown qui donne l’impression d’importance et d’invulnérabilité avant d’offrir un solo guitare de plus dans la note veloutée. On voit nettement comment un groupe joue rythmiquement le morceau et laisse différents instruments prendre tour à tour le devant, avec les retours de motifs. La guitare et la batterie tapent l’harmonie et le morceau s’évanouit dans sa brièveté classique pour l’époque. La batterie propulse une reprise aisément identifiable, Holland-Dozier-Holland travaillé rock avant les Who avec un excellent Baby don’t you do it superbement chanté. Une espèce de chant grave hyper puissant qui suppose du gosier et en même temps un effet de retenue à l’intérieur de la cage thoracique. Il y a bien des cris, mais ce n’est pas un chant qui jette tout vers l’extérieur. Le saxo surfe heureux comme un dieu et charmeur. Le morceau s’arrête sur le rythme bondissant de la batterie, comme un bœuf où on attend le sens du vent et ça repart sans hésitation, on sait aprfaitement ce qu’on doit jouer. Le saxophone crée une belle résonance qui met le morceau en gloire. L’instrumental suivant introduit une rupture dans l’enchaînement comme un retour à la veine du titre initial, il porte d’ailleurs le nom du groupe au singulier The Wailer. C’est guitaristiquement comme j’aime, orchestralement comme j’aime. On enchaîne avec blues lent aux notes étirées de guitare qui font écho à d’autres plages du groupe Soul long. Puis vient un chant qui enchaîne trop bien en contrepoint du précédent. Le titre décrit sans doute pas mal ce qui se dégage musicalement You weren’t using your head. Quelle âpreté du chant magnifiquement soutenue et mise en vedette par l’instrumentation. Une autre chanson enchaîne et il s’agit du titre le plus près de l’esprit gentille pop des Beatles You better believe it. C’est un peu merseybeat, mais le chant reste âpre dans l’intonation. La touche magique reste là dans cette incursion merseybeat. Puis, c’est l’oriental Bad trip. En douceur, on a changé d’époque rock et cette violence contenue scotche avec son refrain court tue-tête et son motif instrumental, son solo de guitare à résonance étrange et ses murmures de la voix. Le morceau tourne et pulse, et il y a toujours ce don de rendre un peu dingue. Evidemment, le morceau de la terreur déboule Out of our tree, le seul retenu sur le coffret Nuggets ce qui est insuffisant, mais quel titre. Le refrain obsessionnel appelle le chant en chœur du public laminé. Les lignes descendantes vertigineuses des couplets recentrent l’attention sur l’oreille et empêchent les débordements. La musique s’intériorise et rayonne, tandis quez la guitare et la batterie explosent et expurgent, pour que ça reparte. La tension du morceau est désirée pour une nuit. On n’enchaîne pas avec Hang up comme écrit sur la pochette, mais avec une reprise d’un titre de McCartney pour les Beatles, le rock endiablé I’m down qui a inévitablement le style rengainant et rond des Beatles, un côté primitif de la batterie. Mais cela reste entraînant et s’intègre à peu près à cet ensemble de performances fines des Wailers. Heureusement, le morceau suivant nous replonge dans ce que les Wailers font de plus sauvage avec Hang up. Oubliés les Beatles, c’est tellement mieux ce qui leur suit. Un rythme de brontosaure, une voix dérangée inquiétante, ça chuinte. Un solo lent et débridé de guitare dans ce son si pur du milieu des sixties. Après ça, on ne peut plus qu’écouter les Rolling stones ou les Pretty things. Nouveau virage pop avec It’s you alone, voix voluptueuse hyper posée. C’est un bonheur que ces contrepoints d’ambiance dans cette compilation. La nostalgie déchire. Puis, cette instrumentation qui fut aussi l’esprit instrumental stonien en 64-65. On enchaîne alors avec la reprise du Smokestack lightnin’ d’Howlin’ Wolf étendu sur cinq minutes. Quelques effets particuliers sont recherchés, la reprise est très très bonne, bien que sans être la quintessence de l’interprétation, le morceau étant plus tenu, mais on passe par diverses richesses. Et il faut une fin avec un vingt-septième titre Walk thru the people dont la mélodie amenée par l’accordéon déconcerte après tout ce qu’on a pu entendre sans qu’on ne s’éloigne réellement des repères musicaux des titres les plus pop du groupe. Le morceau a un effet de finale réussi avec son jeu bref de guitare note par note subtilement travaillé. Le morceau s’impose comme une longue retombée de tout ce que la cervelle a amassé pendant l’écoute de cet opus vitaminé.
Certains titres sont enregistrés différemment des albums, mais je reviendrai sur les albums séparément, je ne vais pas lâcher si vite mes Wailers. Ici, je me suis éloigné du parapet des reprises d’informations publiques pour improviser au fur et à mesure de mon écoute un texte notant mes impressions et premières idées. Toujours ce souci de trouver des formules d’un discours sur la musique rock, sans en être un spécialiste, sans avoir la moindre formation de musicien.
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