Attention chef-d’œuvre ! L’album original Trip thru hell dans son édition vinyle originale de 1969 est un collector qui peut se vendre à plus de 1500 dollars. Il n’y a eu que 700 copies du LP qui se sont écoulées plus ou moins rapidement, mais uniquement dans la localité du Minnesota dont venaient les musiciens. La maison de disques n’a pas pris la peine de sortir une nouvelle fournée de copies. Pourtant, le bruit s’est répandu qu’il existait un OVNI, un album de rock qui ne ressemblait à rien de ce qui pouvait s’écouter. Il s’agit d’un voyage en enfer, sans aucune chanson d’amour ou de cœur brisé… Jamais on n’a employé la trompette de cette façon dans le rock, à supposer que la trompette soit encore admise comme pouvant être dans le coup à la fin des sixties. Les contributions savantes de la basse ont un énorme relief. Les vocaux, les ambiances sont étranges et réellement de l’au-delà. Il s’agit presque d’une musique d’images faite par des instruments de musique qu’aurait dirigé un Stravinsky ou un Bela Bartok reconvertis dans le rock. L’album est désormais couru par les collectionneurs et, en 1983, deux labels, l’un anglais, l’autre français, le réédite de manière illégale, en l’amputant seulement d’un titre. Les ventes des deux bootlegs dépassent inévitablement celle des 700 copies originales, bien que la reconnaissance de l’album demeure une affaire de collectionneurs pointus. Certains morceaux figureront encore sur des compilations bootlegs tout aussi illégales. Mais, en 1995, Sundazed réédite enfin l’album dans son intégralité : format au choix, un CD ou deux LP. Sundazed rajoute du matériel inédit et une majeure partie des titres sortis en 45 tours. Le CD ne coûte plus désormais que maximum 20 euros (à moins d’une probable raréfaction actuelle). Néanmoins, 20 ou 30 euros, c’est une bouchée de pain en comparaison de l’inaccessible pressage original à plus de 1500 euros : pour le mélomane, il y a là un joyau qui s’offre à lui. Précisons qu’il existe aussi un live du C. A. Quintet, mais ce live de 71 joué avec des membres différents n’est qu’un enregistrement de fortune, impossible à mixer et non prévu pour la vente, paru en 86, histoire de surfer sur la légende du groupe. Mais, outre que le groupe ne jouait en live que quelques titres de l’album au profit de reprises (Hey Joe, Proud Mary), C’est l’album réédité par Sundazed qui doit faire référence. Un membre de ZZ Top aurait fait partie du C. A. Quintet, mais j’en arrive à me demander s’il ne s’agit pas d’une légende. Peu importe, le groupe est dominé par son compositeur et chanteur Ken Erwin, qui est également le trompettiste de la formation. Son frère Jim Erwin tient la basse. Le guitariste est Tom Pohling. Doug Reynolds est le claviériste. Rick Johnson est à la batterie, mais le solo de Trip thru hell (part one) est joué par Rick Patron et il laisse la place à Paul Samuels sur Smooth as silk. Les vocaux féminins sont de Toni Crockett. Le CD est accompagné d’un livret qui donne deux interviews, l’une très riche de Ken Erwin, l’autre de Steve Longman « recording engineer ». Ken Erwin a évité les chansons d’amour, il a voulu une œuvre qui ait son propre son, son originalité, qui crée des images. Il a cultivé la recherche d’une attitude dans le chant et il a pensé que son œuvre se devait d’être dansante. Je donne le contenu, puis je reviens sur les morceaux dans une perspective chronologique.
Trip thru hell (part 1) (Erwin-Reynolds) 9 :09
Colorado mourning (Erwin) 2 :31
Cold spider (Erwin) 4 :41
Underground music (Erwin) 4 :43
Sleepy Hollow Lane (Erwin) 2 :04
Smooth as silk (Erwin) single 2 :12
Trip thru hell (part 2) (Erwin) 3 :40
Dr of Philosophy (Erwin) single 2 :09
Blow to my soul (D. S. Sandler) single 1 :58
Ain’t no doubt about it (Erwin) previously unissued 2 :31
Mickey’s monkey (Holland-Dozier-Holland) single 2 :26
I put a spell on you (J. Hawkins) previously unissued 2 :47
I shot the king (Erwin) previously unissued 2 :22
Fortune teller’s lie (Erwin) previously unissued 2 :09
Sadie Lavone (Erwin) previously unissued 2 :49
Bury Me in a Marijauana field (Erwin) unissued acoustic demo 2 :11
Colorado mourning (Erwin) unissued alternate version 2 :13
Underground music (Erwin) unissued alternate version 2 :08
Smooth as silk (Erwin) unissued alternate version 3 :20
Extrait de promo radiophonique.
Il nous manque les faces B des deux premiers 45 tours de 1967 I want you to love me girl et She’s got to be true. Les faces A montrent que le groupe, plus rhythm’n’blues à ses débuts, est passé par la soul. Le premier Mickey’s monkey est une création Holland-Dozier-Holland, donc Motown. Le très prenant Blow to my soul sonne bien différemment de l’album à venir. Les deux faces A figurent sur une compilation d’époque Money music. En revanche, nous avons droit à l’intégralité du troisième 45 tours de 68, avec la face A Smooth as silk qui en fait partie et la face B Dr of philosophy qui en partage l’esprit et qui est placé ici à la suite des sept morceaux de l’album. Il n’est pas facile de trancher si ce dernier titre fait partie ou non de l’album.
L’album contient un titre divisée en deux parties, un peu à la manière du Sing this all together des Rolling stones sur Their satanic majesties request. La première partie ouvre l’album sur neuf minutes, la suivante le ponctue sur près de quatre minutes. Ces deux plages sont essentiellement instrumentales. La première contient en son milieu un long solo de batterie au son mat. Elle nous invite sans doute à un voyage trouble en enfer, mais d’une complaisante volupté. Les chœurs féminins ont encore une note angélique. La deuxième partie introduit en son milieu un étrange temps de « cocktail jazz », mais son rythme se décompose et la mélodie infernale reprend brutalement ses droits tuant définitivement l’insouciance pour un finale apocalyptique. Entre ces deux parties de Trip thru hell, nous passons par cinq autres titres. La mélancolie musicale ainsi appuyée la trompette nous plonge dans une sorte d’atmosphère de western près des frontières mexicaines dans les titres Colorado mourning, Underground music, Sleepy Hollow lane. Les pulsations rythmiques bien syncopées confortent l’impression mélancolique et le motif lancinant de la voie féminin d’au-delà revient dans l’album. Le titre Underground music est aussi enrichi d’une véritable coloration funk précoce. Le titre Smooth as silk se rapprocherait presque d’un titre de rocl plus courant d’ambiance psyché et pourtant il reste encore étrange avec toujours ce son particulier de trompette comme marque de fabrique. Le titre a aussi quelque chose de triomphant, avant que le dernier titre, se permettant un peu de gloriole western à la trompette, nous replonge dans l’intérioristation avec la voix dominante de la femme en prière et extase. Le troisième titre Cold spider est à part, étrangeté à lui tout seul, tant par rapport à la musique rock en général que par rapport aux autres titres mêmes de l’album. Il fait contraste d’ailleurs à la volupté des autres morceaux. C’est vraiment le moment sombre et angoissant de l’album, cas à part du finale où on retrouve d’ailleurs les cris des damnés. Il commence par des chuintements électroniques. Il suit par un faux départ musical, puis il pose une voix particulièrement étrange prête à tous les étouffements et contorsions douloureuses. Le rythme est pompé à contre-temps par le clavier, les ruptures de tempo créent un déséquilibre qui orchestre un certain basculement dans la folie. Le chant cède la place au galop du message instrumental. L’harmonie se fonde sur un concert qui flirte avec l’impression de quelques instruments désaccordés, la batterie suivant imperturbablement son cours. La musique tend vers un crescendo de l’angoisse, contre-balancée par des ambiances stellaires de désintégration. A la suite de l’album, Dr of philosophy en consacre superbement le mouvement dépressif et complaisant.
La chanson Ain’t no doubt about it dominée par les claviers est une composition à peine postérieure à l’album, plus classique, rappelant l’esprit sixties. Le travail du son et de l’harmonisation note par note des instruments y demeure particulier toutefois. On relève également une reprise du I put a spell on you de Screamin’ Jay Hawkins, ce qui participe d’une bonne uniformité de ton pour l’ensemble du CD, tout en diluant quelque peu le caractère psychéldélique propre à l’album dans la rencontre d’autres titres plus soul. En revanche, retour à l’intériorisation psychédélique folle avec les trois titres inédits suivants : I shot the king, Fortune teller’s lie, Sadie Lavone. L’ambiance désolée de I shot the king est à couper le souffle avec un riff de trompette qui préfigure de loin en loin un futur motif disco à succès, mais en versant dans le sombre et glauque. Cri du refrain, timbre de la trompette, martèlement de la batterie, un sacré morceau. Le suivant Fortune teller’s lie joue sur l’étourdissement, il s’agit encore d’un rock plus classique au traitement remarquable du son et du note par note et des harmoniques dans la continuité de l’album. On note un chœur masculin en suspens entre les parties de ce titre, ce qui avec le côté carrousel du motif instrumental dominant continue si habilement l’album. Plus folk, avec une voix feutrée bien posée, le morceau Sadie Lavone achève de nous convaincre que le groupe aurait pu nous sortir un deuxième album du calibre de Trip thru hell. Enfin, nous sommes même gratifié d’une démo acoustique Bury me in a marijuana field qui montre que pour ne pas parler d’amour le groupe n’en bascule pas moins dans d’autres poncifs du rock psychédélique. Ken Erwin espère devenir de l’engrais pour la drogue. La mélodie a plus un air de poncif folk, mais sa plénitude est accompagnée du jeu délicat de la guitare, des vibrations intensifiées de la voix dans le chant du titre et de percussions au son plus aérien, velouté.
Ken Erwin prétend que ses compositions furent meilleures par la suite, mais nous n’avons aucun moyen de vérifier cette assertion qui laisse tout de même sceptique.
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