dimanche 22 janvier 2023

"Get out of my cloud" son inspiration venue de Out of our tree et Louie Louie

 "Get out of my cloud" n'est pas le titre le plus souvent cité dans la carrière des Stones. Pourtant, c'est un titre entraînant de leur grande époque, grande époque désignant ici plus spécifiquement la période où ils ont eu le plus de succès auprès du grand public, par opposition à la grande époque de la maîtrise artistique, 68-72 par exemple dans leur cas. Le fait est tout de même étonnant, il s'agit de leur troisième chanson et composition personnelle numéro 1 après The Last time et Satisfaction. "19th nervous breakdown" ne sera même pas numéro, ni "Have your seen, your mother, standing in the shadow ?" ni même les titres aujourd'hui bien connus "Out of time", "Under my thumb" ou "Mother's little helper". "Paint it black" sera le dernier numéro 1 un certain temps, jusqu'à ce que "Jumpin' Jack Flash" reprenne le flambeau.
Je l'ai montré sur ce blog. "Paint it black" s'inspire de deux chansons des Supremes, tandis que "Jupin' Jack Flash" reprend énormément et doit immensément au titre "Before it's too late" de Jackee O'Day. The Last time est depuis longtemps connu pour les paroles et certains aspects mélodiques en tant que plagiat partiel d'un titre "Maybe the last time" des Staple Singers. Le titre "I'm free" de l'album December's children lié à "Get out of my cloud" est lui aussi un plagiat d'un jerk d'époque, et "Surprise, surprise", autre titre 65 des Stones est un plagiat d'un petit hit d'un groupe anglais obscur de 63. Cette même année 65, Paul Mc Cartney sortait Yesterday en disant avoir bien fouillé partout pour voir s'il ne s'était pas involontairement inspiré de quelqu'un, alors qu'il plagiait partiellement un titre de rien moins que Nat King Cole. Et avec "The Last time" comme avec "Yesterday" ou le refrain de "Jumpin' Jack Flash", un fait frappant est la reprise nonchalante de paroles à la chanson d'origine.
J'en arrive alors à "Get out of my cloud", le morceau ne ressemble à rien de connu, mais en réalité sa formule rythmique est réputée être démarquée du célèbre titre "Louie Louie". L'histoire de la pop music est jalonnée de reprises de "Louie Louie" ou bien de titres qui démarquent sa formule rythmique, et il y a de ce dernier fait deux titres emblématiques "Get out of my cloud" et la chanson "Summer nights" de la comédie musicale "Grease" de la fin des années 70. C'est de l'archiconnu, je n'invente rien.
Mais, étant gosse, quand je découvrais le répertoire stonien, les paroles "Hey you ! get out of my cloud" ("Hé toi descends de mon nuage") m'interpellaient. Le titre ne fait pas thème stonien, il ne fait pas discours sexe rentre-dedans ni rien.
J'ai trouvé un autre titre qui fait penser à "Get out of my cloud", le titre "Out of our tree" des Wailers. Je n'ai jamais fait le rapprochement jusqu'il y a peu. Au début, je ne savais même pas que "Out of our tree" datait de 1965 même. En plus, le titre des Wailers n'est pas une phrase injonctive lancée par un verbe à première vue. Mais la comparaison a fini par me frapper l'esprit entre "Descends de mon nuage" et "Hors de mon arbre", sachant que ce possessif "our" rend le titre des Wailers un peu étonnant et finalement encore plus proche du titre stonien "my cloud" versus "our tree".
Cela a l'air assez vain comme rapprochement, mais pas du tout.
Reprenons la piste "Louie Louie".
Richard Berry est un musicien de rhythm'n'blues qui a quelques premiers  beaux faits d'armes méconnus. Bien qu'il ne fasse pas partie du groupe des Robins, c'est lui qui chante en 1954 sur le titre "Riot in Cell Block Number 9" composé par Jerry Leiber et Mike Stoller (compositeurs pour Elvis et les Coasters notamment), chanson qui a eu un rôle dans l'évolution vers le rock dans les années cinquante. En 1955, il entoure Etta James sur son album "Wallflower". Et enfin en 57, il compose "Louie Louie" avec son groupe The Pharaohs, puis en 59 le titre "Have love, will travel", son autre titre un tant soit peu repris et connu. Mais ce qui a explosé, c'est bien sûr "Louie Louie". Pourtant, elle n'est sortie qu'en face B de "You are my sunshine".
Pour composer "Louie Louie", Richard Berry s'est inspiré surtout pour le début de la chanson cubaine de René Touzet "El Loco cha cha cha" et quelque peu du titre "Havana Moon" de Chuck Berry, deux sources d'inspiration toutes récentes à l'époque. Il a ajouté une touche Calypso.


L'influence du début du titre de René Touzet est flagrante et le riff de "Louie Louie" lui doit tout, mais j'observe que sa prégnance est sonorement atténuée dans la version originale de Richard Berry, alors que les reprises des années soixante en accentuant le riff rehausse le lien sonore et rythmique avec l'attaque du titre cubain.
Profitons-en au passage pour rappeler d'autres faits intéressants et convergents. La chanson "Riot in Cell Block number 9" reprend le riff dit "stop time" utilisé sur les titres "Hoochie coochie man" de Willie Dixon, Mannish boys de Muddy Waters et I'm a man de Bo Diddley, riff guitare qui vient d'un riff de piano des blues des années trente en réalité, mais personne à part moi ne semble s'en être rendu compte. Or, dans l'histoire du riff de guitare simple et comme envoûtant on connaît tous celui de Deep Purple sur "Smoke on the water", sauf que c'est encore l'un des nombreux plagiats de Deep Purple et que le riff de "Smoke on the water" est un plagiat d'une séquence mélodique typiquement brésilienne. Deep Purple a pris son riff à la chanson "Maria Quiet" d'Astrud Gilberto, il me semble par ailleurs avoir entendu la séquence dans d'autres chansons latines, soit brésilienne, soit hispanique, mais quand vous travaillez dans un endroit vous n'osez pas toujours demander qui joue sur la playlist qui passe. Astrud Gilberto est connue aussi par ailleurs pour le superbe titre de 65 "Agua de beber" qui a des chances de vous être connu.
Astrud Gilberto, née Weinert en 1940, est contemporaine des grands noms sixties Lennon, Mc Cartney, Jagger, Richards, etc. Elle est devenue célèbre aux Etats-Unis même en 1963 pour son enregistrement avec Stan Getz de la chanson de bossa nova "The Girl from Ipanema", et Astrud est alors l'épouse du célèbre Joao Gilberto dont elle porte donc le nom, lequel est aussi impliqué dans l'enregistrement de 63. "Agua de beber" est sorti sur le premier album de la chanteuse en 1965, et "Maria Quiet" est sorti en 66 sur l'album "Look out the rainbow", album qui doit être postérieur au divorce avec Joao Gilberto et la composition de "Maria Quiet" est créditée (Mario Moite) apparemment. Peu importe qu'il y ait d'autres emplois de cette mélodie dans la musique d'Amérique latine, les musiciens de Deep Purple connaissaient obligatoirement et Joao Gilberto et Astrud Gilberto. Le plagiat est indiscutable. Deep Purple et Led Zeppelin dépassent de loin les Rolling Stones en plagiats avérés.


Après le détour par l'influence latine "bodybuildée" en riff guitare rock, et je rappelle que je plaide pour qu'on constate que le morceau rock lourd jouissif réussit mieux quand il s'inspire de la soul plutôt que quand il part directement de références aux morceaux rock lourds antérieurs, je reviens à "Louie Louie". Parlons cette fois des reprises. La chanson va exploser dans les années soixante.
Face B, le titre est passé inaperçu. Mais, en 1961, un groupe américain, mais d'une région qui ne déversait pas une foule de grands noms reconnus, The Fabulous Wailers, s'intéresse à ce titre et le reprenne. Les Fabulous Wailers sont très bons, mais ils ne cartonnent pas, et s'ils sont si célèbres aujourd'hui c'est surtout pour l'explosion de "Out of our tree" en 65 qui annonce les titres déchaînés de leurs successeurs The Sonics, groupe lui aussi resté obscur à l'époque, mais devenu culte ensuite.
Après les Fabulous Wailers ou Wailers (à ne pas prendre pour le groupe de reggae bien sûr), les reprises s'enchaînent avec une de Paul Revere and the Raiuders, qui ne sont pas des inconnus, puisqu'ils avaient l'honneur de jouer dans des émissions télé, et même si on les a oubliés, ils sont très bons sur plusieurs albums avec un remarquable répertoire de bons titres. Et puis il y a ce groupe obscur "The Kingsmen" qui ne sera jamais connu pour rien d'autre que leur reprise de "Louie Louie", mais il se trouve qu'elle a cartonné. L'enregistrement amateur et sale des Kingsmen, quelque peu involontaire, fait mouche et devient une marque de fabrique en matière de son sale. On observe toutefois qu'après les jeux de bouche plus bon enfant mais déconcertant de la version originale, les versions des Wailers et des Raiders avaient déjà quelque chose de plus âpre, avec des effets un peu propres au live ou au cri hors chant. Les Kingsmen articulent mal les paroles, ont un drôle de micro pour enregistrer leurs instruments, et c'est eux qui trouvent du coup la formule. C'est de là que partent toutes les reprises quasi automatiques de "Louie Louie" à partir donc de 1963 : The Beach Boys, Otis Redding, The Kinks (nom qui ressemble à The Kingsmen au passage), The Ventures, Jan and Dean, The Leaves (groupe obscur connu pour avoir lancé la fortune du titre traditionnel "Hey Joe"), Bobby Fuller four, The Sonics (sorte de relais des Wailers et ils reprendront aussi Have love, will travel), The Troggs, et ça continuer longtemps avec The Flamin Groovies, Johnny Thunders, The Feelies, etc.
La production sonore sale des Kingsmen va faire école, mais le morceau était aussi un rock lié à un autre horizon culturel, le cubain, le calypso, le jamaïcain (pays anglophone je sais), et finalement ça a du sens que certains reprennent "Louie Louie" en lui donnant une autre touche, en insistant sur le balancé moins habituel au rock plutôt que sur le son sale. C'est "Get ouf ot my cloud" des Stones ou le son plutôt bon enfant des coquets coquins de "Summer nights".

Je vous fais une liste de liens à écouter ci-dessous, mais évidemment j'ai cité The Fabulous Wailers comme les premiers repreneurs de la chanson, ceux qui lui ont fait son identité rock sans la production sale ! "Out of our tree" est sorti également en 65 pour info. Il faudrait vérifier si c'est avant ou après le titre des Rolling Stones.
En revanche, en 66, après la sortie et du single "Get out of my cloud" et de l'album "December's children" des Stones, les Wailers ont sorti un album au titre de la chanson qui est placée en ouverture. Peu de temps après sur l'album, on a la reprise du "Have mercy on me" de Solomon Burke que les Stones avaient eux-mêmes repris avant de faire "December's children" sur le précédent album de l'année 65 où figurait "Satisfaction", puis on a le "I'm down" fraîchement repris à Mc Cartney des Beatles, rock très rentre-dedans un peu comme le "I wanna be your man" dont les Stones ont eu la primeur en 63.
Tout se tient !


Bon on passe aux deux titres qui s'en inspirent.


Et pour le titre des Stones, rien à voir avec le calypso si réellement le titre suivant a eu une influence phrastique :


Je n'arrive pas à avoir (il est vrai que je ne perds pas trop de temps à chercher) la date de sortie du single "Out of our tree" lui-même, sans parler des prestations en concert antérieures éventuelles. Le titre "Get out of my cloud", je dois avoir sa date quelque part, et il est de toute façon plutôt de la fin de l'année 65. L'influence pourrait s'envisager en sens inverse. Les deux titres sont contemporains.
En 1966, les Fabulous Wailers ont sorti un album portant le titre de cette chanson. La face A commence par "Out of our tree", se poursuit par "Mercy, Mercy", "Hang on sloopy" et la reprise du titre tout récent des Beatles "I'm down". "Mercy, Mercy" est précisément un titre joué par les Rolling Stones l'année précédente sur l'album "Out of our heads", ce qui conforterait l'idée d'une influence finalement des Stones sur les Wailers.


Don Covay fait lien entre les Stones et les Supremes dont les Stones et Who se sont inspirés sans qu'on ne se rende compte de rien...
Je termine sur l'autre point commun entre les Stones et les Wailers du coup, les Stones ont eu pour leur deuxième single la primeur d'une chanson de Mc Cartney "I wanna be your man" formatée rock basique, et les Wailers ont repris un des rares titres rock basique de Mc Cartney pour les Beatles, "I'm down".

( le mélange des Stones et des Beatles comme jamais, objectivement on ne comprend pas même si c'est de peu que la place de numéro 1 leur ait échappé en 63 ! Peut-être les sortes de "tirettes" trop appuyées à la guitare dans le refrain-titre et le son trop en suspens de la basse ? L'attaque est géniale avec les notes éthérées de guitare, le chant beatlesien de Jagger c'est de la confiture, il y a un bruitisme harmonieux, c'est du bon!)



Pour ceux qui veulent allonger le plaisir

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire