mercredi 16 janvier 2013

L'artiste rock et la longévité

Je ne vais pas pondre un essai en organisant mes idées autour d'une problématique. J'envisage plutôt une enquête par aspects.

En général, les artistes rock n'ont pas une réelle longévité et pire encore le meilleur c'est leurs débuts. Ce qui n'est que partiellement vrai pour les groupes et artistes des années 60 l'est de plus en plus cruellement au fil des décennies. Mais, j'ajouterais à cela le problème particulier des années 50.

Il y a donc une tendance générale. Les groupes culminent à leurs débuts. Beaucoup d'artistes sont brillants le temps de leur premier album uniquement, beaucoup brillent le temps de deux albums, mais ensuite c'est le déclin soit brusque, soit progressif, ou bien c'est le maintien d'un niveau acceptable mais inférieur à ce qui a été affiché au début le temps d'un album ou deux.
Dans cette immense ensemble, deux questions peuvent encore être posées. Il n'y en a pas que deux dans l'absolu, mais je pense à deux questions en liaison avec le phénomène des débuts brillants.
Premièrement, l'album peut consacrer un groupe ou un artiste qui a progressé dans des formes de prestation non discographique (en vase clos ou en concert, voire en studio si les bandes n'ont pas été commercialisées pendant des années). La consécration discographique se ferait dans la bonne phase, mais viendrait un peu tard. Mais, cette restriction n'est pas spécialement enrichissante. On a trop attendu pour promouvoir tel groupe, okay explication suffisante, plus rien à dire pour s'expliquer que les deux premiers albums soient les meilleurs, sinon le premier exclusivement. Il n'en resterait pas moins que le groupe n'a pas su profiter du tremplin discographique et, sauf cas particuliers, cela nous ramène à l'idée d'une excellence de jeunesse, ce qui le syndrome du génie rock.
Deuxièmement, à ses débuts, le groupe peaufine une image de soi sur laquelle il est possible qu'on décide de rester. Là interviennent des critères de jugement de valeur qui peuvent être relativement subjectifs. Mais, j'ai horreur de ces sales replis sur la subjectivité : "chacun nos opinions, blablabli blablablo".
Il y a des éléments à considérer. La fraîcheur irait plus volontiers avec l'excellence rock. Pour un rocker, Mozart n'est pas du tout jeune quand il compose la Symphonie 40. Dans le rock, on est vieillard à 35 ans.
Certains ne sont bons qu'au début parce que tout simplement ils n'ont pas le souffle pour durer. La vie d'artiste peut les user rapidement également.
Il y a d'autres facteurs. Le groupe peaufine la première image sur une ascension et fait donc les bons choix, mais ensuite directement ils doivent se renouveler selon des fluctuations de mode, des compromis commerciaux qu'on fait sentir (encore que je conçois mal aujourd'hui cette théorie des conseils qui me paraissent pour le moins mal inspiré dans un cadre contemporain trop élargi où le vintage et la permanence sont souhaités par des noyaux durs de consommateurs de musique rock). La première phase est l'idéal enthousiaste, mais la seconde d'idéal d'ambition ne suit pas. Voilà ce que j'ai tendance à penser. Les groupes d'un ou deux albums sont souvent plus les représentants d'une image du rock que d'une recherche mélomane sans cesse aux aguets. Il y a fort à parier aussi que certains expriment dès le début l'essence de ce qu'ils sont obsédés de mettre en oeuvre. La veine est tarie, car ils ont dit ce qui les motivait et sont trop obsédés de cela pour être à même de retenter un coup de génie.
Il y a ensuite un facteur de positionnement : rester dans un gros rock, dans quelque chose de typé, qui plaît, plutôt que de chercher à être une âme de musiciens à part entière. La stéréotypie rattrape vite les volontés.
Il y a aussi, et l'exception des années 60 amène à y penser, le bain culturel. Groupes ou artistes ne sont pas dans une dynamique de rebondissements à faire rêver qui donnerait de l'ambition.
Enfin, il existe moins de références à des réseaux contemporains produisant avec la plus grande rigueur des chansons populaires. Dans les années 50 et 60, il y a dans les maisons de disques des gens formés à la musique classique. Les attentes sont haut placées du côté des harmoniques, du rythme, de l'orchestration, elles le sont aussi du côté de la mélodie, et on attend de nombre de chanteurs, notamment de femmes, qu'elles aient une voix, et pas une voix technique, mais une voix qui, tout en étant dans la performance, soit chargée d'âme.
Or, le rock pourrait s'être enfermé dans une rhétorique de dépouillement confortée par le renoncement à toute ambition dans le domaine de la pop ou soul à succès. Nous sommes dès lors entrés dans l'ère de la superficialité.
Les deux derniers arguments ci-dessus sont présentés comme historiques. Ils se veulent aussi des clefs pour expliquer l'évolution des années 60 à aujourd'hui.
Ces deux questions posées, je peux passer mon temps à dresser un tableau où je classerais un peu tous les artistes, mais il faut encore se pencher sur le cas des artistes ou groupes qui échappent au profil, ceux qui ont eu une longévité, ou bien ceux qui ont pris du temps pour devenir performants. Les années 60 sont essentiellement concernées, mais cela attire aussi l'attention sur le cas particulier des années 50, années pour lesquelles la longévité n'a pas été significativement au rendez-vous. Les artistes des années 50 se différencient de l'ensemble 1973-2012 essentiellement par deux choses : le très haut degré d'exécution artistique au moment de leur âge d'or et l'abondance de titres imposants établis en quelques années. Ces artistes sont parfois brillants dans les années 60, sinon après, mais leur âge d'or reste les années 50. C'est le foyer où ils prennent sens.
Je considère aussi que, bien que l'idée soit d'insister sur le profit qu'ont pu faire les artistes sixties du blues et du rock des années 50, les artistes sixties sont plus variés que les artistes fifties. Chuck Berry, Little Richard ou Bo Diddley, les trois grands noms du rock'n'roll des années 50, mais encore Fats Domino, Eddie Cochran, et d'autres, se répétaient. Qui plus est, grand fan de Chuck Berry, je ne peux m'empêcher de constater l'évidence : le riff décliné dans un nombre considérable de ses plus grands morceaux est un perfectionnement, mais aussi une reprise plus que sensible d'un riff qui vient de T-Bone Walker et Elmore James. Je ne parlerais même pas de genèse du riff de Berry, son riff vient directement de T-Bone Walker et Elmore James. Il ne l'invente pas, il le reprend et il l'adapte. Cela ne l'empêche pas d'être admirable dans ce qu'il en fait, comme dans la composition. Chuck Berry, c'est d'ailleurs encore l'inventeur de Memphis, Tennessee, de School days, de Sweet little sixteen, d'autres encore, jusqu'à Nadine, You never can tell.
L'originalité de Bo Diddley sur ses deux titres-phares résistent mieux, encore qu'on peut débattre sur la primauté vinylique du Hoochie Coochie Man de Willie Dixon sur le I'm a man de Bo Diddley. Mais, finalement, Bo Diddley a essentiellement décliné le titre Bo Diddley sous de nouvelles formes, il refera des "I'm a man" suivi en cela par Muddy Waters et puis les repreneurs. Bo Diddley invente bien encore Who do you love ou des rocks parlés originaux, mais ces chansons sont des modulations étroites de charpentes sans cesse réalimentées et finalement en plus petit nombre.
Ce phénomène est intéressant à observer. Little Richard ne tient lui-même qu'à une poignée de modèles pour un petit ensemble de titres consacrés, et après avoir donné des modèles sous sa plume il s'en reporte même quelque peu à des compositeurs de studio qui viennent jongler avec la recette en se servant de connaissances classiques. Il y a un génie premier, des compositeurs s'en servent dans des combinaisons érudites, puisque Good golly miss Molly, Rip it up et Ready Teddy sont signés Blackwell-Marascalco. Little Richard, c'est l'homme de Long tall Sally, Lucille, Tutti Frutti, puis de la déclinaison d'un processus: Jenny, Jenny, etc. Slippin' and slidin' n'est même pas une chanson de Penniman comme les crédits l'indiquent sur les disques, mais une reprise d'un contemporain qu'il adapte sans peine à sa manière. Little Richard est l'homme de peu de cartouches finalement, sans oublier l'influence d'Esquerita sur sa manière.
Bref, Chuck Berry était un génie, mais il a eu une très forte innutrition. Bo Diddley et Little Richard ont été des génies mais sur un petit nombre de modèles musicaux qu'ils firent tourner.
Dans les années 50, le champ des génies était vaste, mais les artistes n'étaient pas si variés que ça. La starification privilège de quelques-uns cache une certaine relativité.
Evidemment, il y a du génie à varier dans les limites étroites, mais la différence n'en reste pas moins sensible avec les années 60.

Passons maintenant aux cas exemplaires de longévité.
Deux noms sortent pour moi du panier : James Brown et David Bowie. Ils ont en commun de ne pas être au sommet dès leurs débuts, d'avoir ensuite connu une remarquable longévité, enfin d'avoir connu des évolutions patentes de leur style.

Le James Brown des années 50 n'est pas le plus intéressant. Son Please Please Please s'inscrit dans la tendance Little Richard sans pouvoir rivaliser. Les autres titres ne sont pas spécialement marquants, sauf un: Try me.
Donc, les premières années de la discographie de James Brown ne sont pas porteuses.
Les grands noms du rock des années 50 passent difficilement le cap de 1960. Il y a des morts, certes, mais aussi pas mal d'artistes qui n'ont plus produit de nouveaux hits majeurs après 1961. Chuck Berry est un cas à part à cause de son emprisonnement et de l'intérêt évident des titres sortis en 1964-1965. Mais, cette parenthèse ne l'empêche pas d'illustrer lui aussi le déclin.
En 62-63, les grands noms du rock'n'roll sont souvent hors circuit et le renouveau anglais, et à plus forte raison californien, n'est pas encore en place. Les Beatles profiteront de leur primauté dans le renouveau du rock par l'Angleterre en 63.
En 62-63, le rhythm'n'blues a de puissantes réalisations diverses, la soul se dessine, et il y a une écurie Spector en place, plus une prolifération de groupes pop féminins. Je passe sur l'étude trop compliquée du cas Ike Turner, surtout que je me concentre sur la charnière 63, ainsi que, pour l'instant, sur Ray Charles et Sam Cooke. Mais, donc, James Brown me semble l'artiste paradoxal qui représente un modèle pour le rock sixties, mais en n'étant pas un génie des années cinquante, mais un génie de la période 60-65, avec les années transitoires 61-63.
James Brown sera une référence discrète, mais une référence quand même, pour le rock anglais. Les Who reprennent sur leur premier album I don't mind et même le premier 45 tours Please Please Please bien fifties. Ils reprennent d'autres titres à l'occasion comme Shout and shimmy.
En 66, sur l'album Aftermath, les Rolling stones offrent le titre Think, homonyme d'un autre de James Brown au début des sixties. Un rapprochement me paraît pertinent.


Oui, les deux titres sont bien différents, mais il y a quelque chose d'une allure du premier qui passe dans le second. Non?

Pour moi, il est sensible que le titre Heart of stone est un "à la manière de James Brown". J'avais repéré un titre dans l'oeuvre de James Brown, mais je ne sais plus lequel et je n'écoute pas régulièrement James Brown. Je l'écoute de temps en temps, mais ce n'est pas un de mes tout favoris. J'ai dû réécouter ce titre récemment, mais je ne me suis pas concentré à ce moment-là pour le repérer. Je me dis nonchalamment que le titre est là et qu'il ne peut pas s'échapper, je le livrerai le jour où j'aurai vraiment envie de mettre la main dessus. En attendant, je rappelle le titre des stones dans sa version la plus célèbre, sachant qu'à l'époque les stones jouent avec ce code de la jérémiade grasse de toute beauté de vertige, comme aime tant le faire James Brown lui-même, et sur un mode opératoire bluesy qui est plus celui de Brown que celui d'Otis Redding. Je préviens aussi que je suis radicalement fan du style stonien, chant et son guitare, etc., d'Heart of stone.


Long long while ne fait pas immédiatement penser à James Brown, mais quand même il y en a des éléments dans les contorsions. Long long while est un titre à cheval sur 65 et 66. James Brown a eu un récent succès "It's a man's man's man's world" et je peux difficilement trouver innocent le lien dans la reprise de mots "man's" et "long". Que les morceaux soient très différents est à l'honneur des stones : ils s'inspirent, mais font autre chose.
Ainsi, le James Brown de la période 60-65 est capital et ce qui est marquant c'est que ses titres funk sur lesquels se fonde sa reconnaissance universelle actuelle n'existent pas encore, si ce n'est que Papa's got a brand new bag peut faire figure de jalon. Mais j'insisterai aussi ici sur le titre It'sz a man's man's man's world, qui lui ne correspond pas du tout à l'évolution funk ultérieur et fait figure de testament du premier James Brown. Je fais aussi remarquer que les deux titres ci-dessous viennent après déjà pas mal d'années de carrière. Le travail a payé et cette consécration quelque peu tardive a sa saveur.


Mais James Brown ne s'arrête pas là, il est universellement connu pour la mise au point du funk. Il y a des sources, le saxophone des titres de Little Richard ou la Nouvelle-Orléans, des concurrents contemporains et surtout des musiciens associés, mais visiblement la mise au point du funk vient de lui. Son style funk sera un peu raide et ce genre va se faire une nouvelle jeunesse avec un autre immense génie Sly Stone de Sly and the Family Stone. James Brown commettra aussi des bourdes de mégalomane, comme de reprendre Try me avec un accompagnement orchestral funk. Mais, les phases de développement produit un lot de titres intéressants dans la seconde moitié des années 60, puis il y aura une suite de titres phares constitutifs du genre de Sex Machine à Payback en passant par Hot Pants. Or, Hot pants ou Payback, c'est les années 70, 71 et 74 respectivement. Longévité de fait. Un titre sera encore populaire dans les années 80 à cause du film Rocky. Mais l'essentiel, c'est que jusqu'en 74 la production est abondante et renforcée par celle du groupe The JB's qui dépend de lui.
Dans les années 70, il est le seul artiste majeur des années 50 à occuper ainsi le devant de la scène, alors qu'il se caractérisait par des débuts moins percutants que les autres de 1957 à 1960.
Que prendre ensuite en considération? L'âge des artistes ou les dates de 55 ou 63-65 comme années d'éclosion d'artistes précis? 8 à 10 ans d'écart. Disons "de 63", les Beatles auraient dû tenir jusqu'en 82 pour assumer l'équivalence. Les stones jusqu'en 83. Je ne me suis pas servi des années de naissance et on pourrait me demander de ne faire partir l'ère James Brown que de 57, mais peu importe l'exactitude des chiffres puisse que même un système de fourchette à partir de multiples variables révèle que Brown a sorti des titres importants à un âge rock'n'rollien avancé et qu'il s'est étendu sur une période de qualité longue, de 60 à 74 à tout le moins, 14 ans, de 57 à 74 si on veut bien considérer que partant moins haut son parcours n'en est pas moins une unité continue témoignant d'une capacité à évoluer et à se hausser plus haut.
C'est visiblement l'un des phénomènes les plus frappants de l'histoire du rock en termes de longévité.

L'autre exemple frappant, c'est David Bowie. Evidemment, Bowie ne joue pas dans la cour des grands à tous les niveaux. La réputation de Bowie en live est discutable. Je ne suis pas du tout convaincu de ses qualités sous cet angle-là. Le déploiement instrumental n'est pas non plus celui de James Brown ou des Rolling stones. Ceci dit, les compositions de Bowie sont géniales, il exécute et invente à merveille dans les créneaux où il cherche à s'épanouir. Son style va énormément varier et jouant avec les influences il fait des choses à lui, bien personnelles et en même temps il a eu des styles bien distincts.
David Bowie partage avec James Brown des débuts plus laborieux. Les titres des années 60 sont très bons, très originaux, mais ce n'est qu'en 69 qu'il s'affirme comme génie à part entière.
Les titres rock de Bowie sont très bien : Jean Genie, Rebel Rebel, les titres de la période Ziggy Stardust, mais ce n'est pas ces titres-là, parfois populaires, qui peuvent le laisser espérer rivaliser avec les meilleurs.
Ceci dit, l'âge d'or est réel de 69 à 76 avec des pointes en 72-73, en 76. La période berlinoise, c'est autre chose et on m'en voudra sans doute de ne pas les classer spontanément dans l'âge d'or. Mais je prends ce risque car il n'a jamais été pris auparavant et qu'il me paraît crédible, même si pour plusieurs raisons Low, Heroes, voire Lodger sont admirables. Pour Scary Monsters en 80, il y a un titre éblouissant Ashes to ashes, mais on sent nettement la baisse d'inspiration, l'essoufflement étant déjà sensible sur Lodger.
Pour ne pas alourdir, je n'inidque qu'allusivement le travail et la composition pour d'autres, notamment All the young dudes pour Mott the Hoople et les deux premiers albums solo d'Iggy Pop.
Les années 80 sont très particulières. Les albums Let's dance ou Tonight ou Day in day out ne sont pas brillants, à plus forte raison la suite avec Tin Machine et Tin Machine II. Mais, les années 80 sont compensées par une capacité à créer de grands singles. Titre ancien, China girl en fait partie, mais aussi Let's dance, Modern love, Blue jean et Absolute beginners.
Vu le traitement brownien et ce caractère particulier, je décide de retenir l'année 1980 comme date-butoir plutôt que l'année 83, pour que mon lecteur se dise que le cadre est plus de l'ordre de la sous-évaluation que de la surévaluation dans tous les cas. Cela me permet aussi de considérer le facteur d'un accomplissement instrumental moins vertigineux que pour d'autres grands noms.
Son âge d'or va de 69 à 80, 12 ans, sa longévité en incluant ses débuts en disons 66, sachant qu'il compose en plus pour un groupe écossais, s'établit donc sur une période de 15 ans. Bowie n'a pas créé le funk, mais il a créé des dimensions rock personnelles variées.
James Brown serait né en 1928. Il avait à peu près, selon le mois de naissance que j'ai oublié et qui est lui aussi hypothétique, 46 ans en 74. Bowie est né en janvier 46, je crois, et avait donc 34 ans en 80, 37 en 83. J'ai attendu ce parallélisme avec 9 ans d'écart, presque 10, pour signaler à l'attention un autre trait troublant de la longévité brownienne. Bowie a progressé jusqu'en 69, mais en étant encore jeune. Il n'a que trois ans de différence, sinon deux et deux et demi, avec Jagger et Richards, juillet 43 et décembre 43. Pour commencer aussi fort que les stones, Bowie auraient dû être d'emblée au point en 66-67. Mais peu importe les trois ans de retard ou de maturation. De 63, sinon de 62 avec "Love me do", les Beatles aussi ont connu une maturation. Les Rolling stones font partie des précoces.
Les Stones sont brillants dès leurs vingt ans, Bowie à 23 ans. Brown a été à peu près brillant par instants entre 57 et 60, il avait alors de 29 à 32 ans déjà. Il est devenu impressionnant après ses 32 ans. La comparaison avec Bowie égale pour la longévité vole en éclats à cette aune, puisque Bowie a décliné à 34 ans, quand Brown a connu l'irrésistible ascension à 32 ans.
Mais, il y a un petit rebondissement avec Bowie. Celui-ci a connu un nouvel âge d'or, agrémenté d'une nouvelle exploration au plan des choix musicaux et donc du style, dans les années 90. On peut être mitigé sur certains points quant à l'album Black tie white noise, mais Outside et Earthling sont convaincants. D'autres bons albums suivront, mais Earthling est le dernier grand album, à cinquante ans, en 96.
Certes, ni Earthling, ni Outside ne valent les débuts, mais un revival hors des sentiers connus de l'artiste, ça se respecte, surtout qu'un revival en tant que tel est une chose bien rare.
Célèbres pour leur longévité, les Stones ont connu un revival, mais il est masqué par certains phénomènes.
Les Rolling stones ont dominé l'histoire du rock de 1963 à 1972, pendant 10 ans. Longévité réelle. Cela semble bien moins que Bowie ou Brown, mais je parle là de la longévité de domination de leur sujet. Car, les stones sont un immense groupe de concert en 73, année où ils produisent encore un grand hit Angie. Des succès plus tardifs des stones suivront en matière de singles ou albums.
Les stones sont un groupe de rock qui n'a aucun espoir d'amorce intellectuelle. A partir du moment où il est constaté deux choses : qu'ils ne donnent pas le meilleur d'eux-mêmes, qu'ils ont une évolution atmosphérique sombre peu compatible avec l'esprit rock, le public et surtout la presse spécialisée ne peuvent pas admettre les coups de génie qui sont pourtant bien présents dans les albums Goats head soup et It's only rock'n'roll, en 73 et 74. Ce qui a été reconnu à Brown et à Bowie doit l'être aux stones. Ceux-ci ont eu une longévité de génie de 63 à 74, ce qui fait non pas dix années de sommet, mais douze.
La longévité des stones doit même aller jusqu'en 1978, étant donné que de très beaux titres figurent sur Black and blue (Memory motel, etc.) et étant donné la réussite qu'est l'année 78 avec un single discorock à succès bien foutu "Miss you", avec un album génial Some girls et avec une bonne année de concerts.
Mais, trois choses ne passent pas. Premièrement, la chute réelle de niveau sur scène. Les concerts des stones furent sévèrement décevants en 75, 76 et 77. Même les concerts de 78 souffrent de la comparaison avec l'âge d'or sur scène de 69 à 73. Deuxièmement, le fait évident que Jagger chante beaucoup moins bien qu'avant. Troisièmement, les stones n'ont plus rien à dire, ils jouent du rock point et Some girls n'a pas la patine que donne les références blues et autres à Beggar's Banquet ou Exile on main street. Il n'y a pas d'investissement non plus dans des titres étonnants sur Some girls. Par ailleurs, depuis Black and Blue, si les choix musicaux des stones peuvent se démarquer de leur veine rock, c'est pour surfer sur la mode ou pour oser des styles qui répugnent à l'intégrité rock, notamment avec le titre Miss you et l'album Emotional rescue, ce dernier n'étant pas pourtant désagréable à écouter en soi. Plus tard encore, cela se voit, en sommet de fadeur pop dance le titre "Has Anybody seen my baby?" La variété, la pop et le rock convenu et lisse de radio bon chic bon genre non imaginatif les a coulés dans l'estime. Undercover et Dirty Work seront de fameux échecs et on n'attend pas des stones qu'ils jouent un larmoyant Out of tears, pourtant impeccablement écrit.
Il y a de bons titres sur Voodoo Lounge, mais pas les rocks qui sont imbuvables. Je n'ai aucune admiration pour Love is strong qui retape d'ailleurs un titre antérieur de je ne sais plus qui des années 80 dont le nom m'échappe. Sparks will fly et You got me rocking sont horribles. On préfère de plus posés Brand new car, Mean disposition, la profondeur de Thru and thru. Même dans des slow rocks, les stones ne sont pas bien évidents en 94.
Mais, il y a une quatrième chose qui ne passe pas et qui est assez peu relevée, voire pas du tout, dans la presse. C'est le côté grisaille. En 74, It's only rock'n'roll est un album génial, mais il n'est pas réjouissant. Il a une veine glauque dans l'ambiance. Il me semble que la veine glauque des stones ne peut séduire qu'un public minimal. C'est ce qui fait qu'It's only rock'n'roll est jugé plus sévèrement qu'il ne devrait l'être.
Or, finissons-en avec la parenthèse, les stones ont eu un revival. Celui-ci ne saurait être que relatif en live, car le revival sur scène est affaire de goût et d'organisation, mais les stones étaient enterrés depuis longtemps sur le sujet. Les lives de 89 et 90 sont remarquables sous réserve qu'ils ne sont plus capables des prouesses d'antan. Il y aura à l'occasion de bons concerts de rockers sexagénaires en 2003, mais les critères d'appréciation sont de l'ordre du bon moment, pas de la qualité de jeu.
En revanche, il y avait des possibles en studio. Néanmoins, le possible ne sera pas concrétisé par un coup de génie créateur adapté à leur âge. Les stones ne visent pas à ce niveau d'adaptation, ils veulent continuer la même veine.
Un album est pour moi celui indiscutable d'un revival au niveau composition, c'est Steel Wheels. En-dehors de l'absence de succès, deux choses expliquent sa non reconnaissance: c'est le même rock que jadis en moins bien de toute façon, et puis l'album a un côté sombre métallique triste foncièrement non commercial.
En ce qui me concerne, j'affectionne l'album Steel Wheels, je le trouve génial et il me plaît. Il y a aussi de bonnes chansons à l'occasion sur Voodoo Lounge. Disons qu'il y a eu un revival des stones de 89 à 95 (en incluant donc Stripped), mais il est tout en demi-teintes.
Mais, à la différence de Brown et Bowie, les Stones sont un groupe. Or, les stones ont joué séparément. Ces deux leaders-compositeurs ont pondu des albums solo. C'est là que doit se compléter l'idée paradoxal d'un revival stonien. Keith Richards a sorti, mais sans succès commercial, une superbe oeuvre solo: deux albums studio, un album live et un album de reggae. Un côté métallique et étrange ressort sur Main Offender, qui a de sérieux défauts de conception (notes trop distinctes, mal jointes et sans trop d'âme de la batterie). Mais l'album est exceptionnel par plusieurs côtés, riffs ou profondeur de Hate it when you leave, etc.). L'album de 87 Talk is cheap n'a lui aucun défaut, la comparaison avec l'album stonien de l'année précédente Dirty Work étant ahurissante). Ces oeuvres du guitariste en solo n'ont eu qu'un succès d'estime à l'époque car en-dehors du commerce, en-dehors de stones qui ne marchaient pas aussi fort que du Richards en solo.
Encore un revival qui passe à la trappe, surtout que l'album le plus apte à séduire Talk is cheap date de 87, alors qu'il est plus question de fin des stones que de revival.
Passons enfin au cas Jagger. A part son duo avec Bowie, rien de transcendant. Ses deux premiers albums solo sont catastrophiques. Pour les interviews, Jagger présente mieux que Richards, mais il n'est plus crédible depuis longtemps. Or, Jagger va sortir un album solo exceptionnel digne des stones : Wandering spirit, comme s'il avait réservé son génie à ce projet le vengeant de tous ses échecs solo antérieurs. L'album est même accompagné d'un hit qui va tourner en boucle à l'époque My sweet thing. Mais, la suite des actualités stoniennes a sans doute entraîné la non commémoration de ce titre et de l'album correspondant.
Il y a sans doute aussi un autre facteur qui explique que ce revival de Jagger qui n'est pas passé inaperçu soit ensuite retombé malgré tout dans un relatif oubli. Au début des années 90, les débats portaient sur l'importance des musiciens par rapport aux chanteurs. Les chanteurs avaient été d'emblée starifiés, alors que des guitaristes, des musiciens participaient à la confection des morceaux. Au début des années 90, il y a un peu le souffle d'une oeuvre de justice où Keith Richards va représenter la musique des stones. Wandering Spirit, c'est très bien de la part de Jagger qui n'est pas accompagné de son compère musicien compositeur de génie. Au début des années 90, il y a un fort moment d'intronisation du génie du riff qu'est Richards. C'est le guitariste moyen en tant que joueur, mais enfin reconnu pour sa science créatrice. Jagger a brillé en solo quand le contexte était d'une réévaluation de l'importance de Richards.
Depuis l'avènement d'internet et surtout depuis l'avènement des commentaires chanson par chanson, pour les Beatles et les Rolling stones notamment, il est sensible que Jagger a joué un rôle extrêmement important dans l'élaboration de quantité de grandes chansons stoniennes, malgré cette vision d'un chanteur qui ne touche guère à un instrument.
Le revival stonien n'en reste pas moins en demi-teintes, mais il a une réalité incontestable de 87 à 92, si on inclut des albums en solo aux côtés de Steel Wheels et d'un assez bon souffle live tardif reconduit jusqu'en 94 finalement.
Autre mérite, au moins jusqu'en 94, les stones furent des créateurs de chansons à part entière, avec une mélodie, un caractère identifiable, et non pas un groupe jouant du rock plus génialement, mais sans inventer rien de réel en fait de composition, comme sont la plupart des groupes de rock des trente dernières années.

Je vais faire une pause ici. Je traiterai d'autres carrières longues une prochaine fois. Là, j'ai déjà posé pas mal de jalons.








































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