lundi 3 juin 2013

Albums des Rolling stones (partie 1, lives et carré d'as)

On parle de carré d'as avec les albums Beggar's Banquet (1968), Let it bleed (1969), Sticky Fingers (1971) et Exile on main street (1972), en se gardant en joker Aftermath dont il sera encore question plus loin, suite d'albums à laquelle ajouter le live Get yer ya-ya's out (1970, 1969 pour les prestations).
 Les plus grands succès des Stones ne figurent pas sur ces quatre albums, la stonemania est déjà passée (64-66, sinon début 67). Jumpin' Jack Flash et Honky Tonk Women seront en tête des ventes en Angleterre et datent respectivement de 1968 et 1969, mais il ne figurent pas tels quels sur les albums formant notre carré d'as, à ceci près que Country Honk sur Let it bleed se présente comme une variante du titre Honky Tonk Women. Les deux succès figureront toutefois sur le live Get yer ya-ya's out dans des versions éblouissantes.
Côté live, la discographie stonienne est dans l'impasse. Le groupe est mythique et sa réputation scénique bien entretenue. Mais, les concerts des artistes anglais en général, à la différence de ce qui se faisait côté californien, n'étaient pas soignés avant 1968. Les Rolling stones n'ont pas non plus abondamment joué en live de 68 à 71 et l'abondante matière de 72 et 73 n'a pas donné lieu à des éditions de lives officiels.
C'est ainsi. Quelqu'un voulant se lancer dans la discographie des stones verra qu'il lui sera déconseillé tous leurs lives officiels, sauf ce Get yer ya-ya's out inversément monté en épingle, et pour cause. Une bonne discographie live des stones passe nécessairement par les bootlegs et se resserre sur une période très ramassée : 68-73, en incluant des événements clefs: Rock'n'roll circus, Hyde Park, Altamont, concert gratuit pour le Nicaragua à Los Angeles en 73. On essaie aussi de puiser la crème de chaque mini-tournée: tournée américaine de novembre 69, tournée européenne de 70, tournée anglaise de 71, tournée américaine de 72, tournée hawaïenne et océanienne en 73, tournée européenne en 73. L'officialisation via le net de Brussels affair permet d'ajouter un second joyau live à la discographie officielle des Rolling stones.

C'est un point faible de la discographie stonienne. D'autres artistes ont su proposer plusieurs lives importants dans leur carrière. Les Rolling stones existent en live essentiellement grâce aux bootlegs. Ou bien grâce à ce joyau qu'est Get yer ya-ya's out.
Le double Love you live est brouillon. La vidéo Let's spend the night together qui correspond à la tournée Still Life ne livre pas pour moi un rock bien inspiré. Flashpoint est un concert très bien fait, mais en étant indulgent quant à l'âge des artistes et aussi quant à des arrangements qui sont quelque peu festifs. Les concerts ultérieurs, il y en a à l'occasion de bien dans les bootlegs, mais on l'a compris, l'intérêt d'écouter un live de la période 68-73 n'est pas comparable avec un quelconque live postérieur. Et je pourrais même avoir la cruauté de dire que sur Got live if you want it je prends mon pied, j'entends les stones. Je n'ai jamais été ennuyé par le fait d'écouter la prestation brouillonne de 65-66. Je trouve cette écoute tout à fait prenante et agréable, en fait.

Evidemment, à cause de cette période live privilégiée, on va attribuer à Mick Taylor une aura particulière, et il est certain que son jeu étincelant est pour quelque chose dans la valeur des concerts stoniens, tout particulièrement de 71 à 73.

La vérité, c'est que la drogue a fini par bousiller Keith Richards et que l'embourgeoisement a gagné le groupe, et notamment Mick Jagger. Du coup, ils n'ont plus été à même de ressourcer un répertoire trop, peut-être pas figé, mais maintenu dans une seule idée des titres à jouer ou ne pas jouer, ni à même de dire à nouveau quelque chose de rock devant le monde. Ils sont pourtant restés de très grands compositeurs, et les titres de Steel Wheels en 1989 ou de Voodoo Lounge en 1994, sans être toujours parfaits, ont la plupart du temps quelque chose d'incroyablement troussé, d'incroyablement trouvé.

Mais, après tous ces détours, j'en reviens au carré d'as. Il me semble qu'à l'époque les stones étaient perçus comme un groupe des années soixante et qu'Exile on main street n'a pas eu une grande reconnaissance initiale.
Aujourd'hui, la tendance s'est inversée. J'ai l'impression qu'on cite plus volontiers Sticky Fingers et Exile on main street que les deux opus de 68 et 69.
Exile on main street de 72 est un double album (18 titres) fabuleux. Sa reconnaissance sur le long terme est une très bonne chose, mais je ne rentrerai pas dans le jeu d'une intelligentsia qui valorise la présence de Taylor et l'idée que Sticky Fingers et Exile on main street ont plus à dire à l'homme moderne que les albums rock et blues bien typés stoniens que sont Beggar's Banquet et Let it bleed. Je ne saurais en douter. Les deux plus grands albums des Stones sont Beggar's Banquet et Let it bleed, voire les deux plus grands albums de l'histoire du rock tout court.

Beggar's Banquet, c'est l'album des 4 "S": Sympathy for the devil, Street fighting man, Stray cat Blues et Salt of the earth. Trois de ces titres figurent sur Get yer ya-ya's out. Le finale Salt of the earth est pour moi la plus belle fin d'album qu'il m'ait jamais été donné d'écouter. En tout cas, moi personnellement, aucune fin d'album ne m'a autant soulevé que la clôture affolante de Beggar's Banquet. Le titre se situe à un niveau de contorsions phénoménal. Toutes ses progressions sont magiques et nous entraînent.
La plage Sympathy for the devil semble née d'une ballade proposée par Mick Jagger dans un esprit dylanien, mais Keith Richards aurait déterminé le groupe à jouer le titre dans l'esprit musical que nous connaissons. Sa danse sauvage emporte tout, sa structure rallongée s'élargit en richesses insoupçonnées, avec très discret le solo de guitare de Keith Richards, procédé qui sera réitéré avec un moindre bonheur, malgré Taylor à la gratte, sur la chute de studio Jiving sister Fanny figurant sur Metamorphosis.
Street fighting man présente l'intérêt du petit miracle acoustique, puisque les guitares acoustiques sonnent alors électriques, et même sauvagement pour des oreilles non encore habituées à ces décibels musicaux en 1968. Le solo qui traversait toute la maquette originale, alors intitulé Everybody pay their dues, sera reconduit dans les prestations lives avec notamment la version de Brussels affair, qui est d'ailleurs en réalité une prise d'un concert anglais et non du concert bruxellois lui-même.
Street fighting man a été pensé sur le modèle structurel de Jumpin' Jack Flash, ce qui en fait deux chansons soeurs en dépit des apparences sonores distinguant les deux morceaux.
Je n'ai rien dit de la griffe de Stray Cat Blues. L'album regorge d'ailleurs d'autres pépites. Blues et slide : Jig-saw puzzle, Dear doctor, Parachute woman, et puis No expectations avec sa mélodie parfaite de piano en prime. Factory girl aura le curieux honneur de figurer sur l'album Flashpoint, curieux mais juste honneur encore une fois. La reprise Prodigal son est d'autant plus exceptionnelle qu'elle l'est d'un bluesman dont on peinera à trouver un disque dans les magasins les plus spécialisés.

L'autre immense album des stones, c'est Let it bleed. Il était sans doute prévu entre Stones et Beatles de jouer au jeu de l'opposition: Let it be contre Let it bleed, mais l'opération tourne court, puisque Let it be ne sortira que bien plus tard, voire après l'album Abbey Road aux enregistrements pourtant postérieurs.
Mais, la comparaison est inutile, tant la supériorité du répertoire stonien est écrasante.
L'album s'ouvre sur le titre le plus merveilleux ayant jamais introduit un album : Gimme shelter. 69 est une année marquée par la qualité exceptionnelle des introductions pour les Stones. Après l'intro de Honky Tonk Women, celle de Gimme shelter. L'album se poursuit par une reprise exceptionnelle de Love in vain et justement une version différente de Honky Tonk Women. On peut observer d'ailleurs que d'une part Love in vain en seconde position fait écho à No expectations sur l'album précédent que d'autre part des notes avec leur chaleur, leur couleur passent de Love in vain à Country Honk, à tel point que Love in vain nous fait entendre que le klaxon de Country Honk n'est pas un accident, puisqu'il participe lui-même d'une stratégie d'échos sonores distribués entre les titres.
Le morceau-titre Let it bleed prolonge nettement le centre blues de Beggar's Banquet avec Dear doctor, Parachute Woman et Jig-saw puzzle. La chanson s'étend, mais par une force tranquille. Ce n'est pas un morceau dont on dit il dure cinq minutes. Il dure cinq minutes tout en donnant l'impression d'un titre aussi court que les autres. On retrouve la slide et le chant grave affecté, dans une dimension nettement blues au mille ciselures orchestrales.
Le rock stonien Live with me se fait jour, avec une dimension particulière. Le morceau présente une tension carrée, peu expansive lyriquement veux-je dire, avec un renfort d'harmonique par l'apport orchestral, du saxophone notamment.
Keith Richards s'essaie aussi à intérioriser le blues du delta dans son You got the silver qu'il chante pour l'occasion. Le titre est une réussite entre les reprises de Prodigal son et You gotta move sur les albums avoisinants Let it bleed.
Après Sympathy for the devil, quelle idée géniale pouvait encore fuser pour plonger l'auditeur dans une ambiance comparable, tout aussi déroutante et tout aussi dansante et envoûtante dans une torpeur musicale acérée? Ce fut le nouveau coup de génie, Midnight rambler. Il n'a pas la démarcation musicale de Sympathy for the devil, puisque Midnight rambler s'inscrit pleinement dans les registres blues et rock, mais ses articulations sont complètement désossées, ce qui rend ce titre agressif d'une intense poésie.
Monkey Man est un titre particulièrement curieux de l'album par son son guitare et son piano stellaire. Avec sa classe, les choeurs et les parties guitare, You can't always get what you want est un finale efficace des stones, dont le refrain hante facilement les esprits.

De l'avis même de Mick Taylor, j'avais lu cela dans une interview d'un numéro je crois de Rock and folk conservé à la bibliothèque du lycée Saint-Eugène à Aurillac, Beggar's Banquet et Let it bleed sont les deux meilleurs albums des stones.
Mais Sticky Fingers suit de manière exceptionnelle, et puis Exile on main street.
Les journalistes sont particulièrement désireux d'évincer Keith Richards en ce qui concerne Sticky Fingers. Ils insistent sur le boeuf improvisé de Can't you hear me knocking pour valoriser Taylor. Mais, dans ce boeuf improvisé, est-ce que la splendide partie acérée de guitare qui culmine vers la fin est improvisée, premier problème, car elle est pour le moins construite. Deuxième problème, la première moitié de la chanson est un pur chef-d'oeuvre de mécanique rythmique et harmonique. Les deux parties de la chanson sont superbes pour moi. Il est certain que la touche de Taylor est présente, mais Keith a composé le morceau et la fin du boeuf était prévue. Elle n'a rien d'hasardeux.
On évoque aussi l'absence de Keith Richards sur le titre Moonlight Mile. Il ne joue pas sur ce titre pour lequel il reste crédité. Du coup, on prétend qu'il a été composé avec Mick Taylor. Pourquoi n'a-t-il pas été crédité comme il le sera sur Ventilator Blues l'année suivante? Est-ce que le fait que Keith ne joue pas sur ce titre exclut réellement sa participation à la composition? Cela resterait de toute façon un beau titre du compère Mick Jagger qui a composé aussi le fameux Brown sugar sur lequel les interventions de Richards ont dû être minimes. Le morceau tient par sa splendeur de composition et le riff est juste ce qu'il faut. Il eszt sans doute trop court pour demander le génie de l'élaboration qu'avait Keith Richards. Car Brown sugar n'est pas exactement un rock stonien à riff, alors que c'est un titre rock insurrectionnel éminemment stonien, tout un paradoxe à l'écoute. Mais il est stonien parce que Jagger donne une tenue de route à cela, parce que ça le fait, et aussi parce que, dans son dépouillement en fait de notes, il y a plein d'harmoniques géniales, il faut écouter comment dans la maigreur de leurs partitions, les instruments se tombent dessus et se répondent. Je dirais que c'est une chanson qui est pleine de sons qui se rencontrent, avec des formules d'acrobate entre les plans.
Mais il s'agit encore d'évincer Richards de manière étonnante. Certains journalistes récents attribuent Wild Horses ou Dead Flowers à Jagger. Richards n'y aurait aucune part. J'ai lu cela récemment dans le magazine Rolling stone qui faisait un numéro spécial Rolling stones. Voyant de telles inepties, je n'ai pas acheté le magazine.
Wild Horses est justement une composition spécifique de Keith Richards et pourtant c'est la deuxième fois qu'on veut le priver de cette paternité, puisque, étant donné que Gram Parsons a sorti en premier une version de Wild Horses sur le second album des Flying Burrito Brothers, certains ne se sont pas gênés pour dire que Gram Parsons en était probablement l'auteur. Il faut le faire, décidément. Wild Horses, c'est du Richards, et certaines finesses de Dead Flowers en sus de son autre possible rapprochement avec l'intérêt de Richards pour la musique de Parsons, me font envisager que Dead Flowers peut avoir une mélodie jaggerienne amenée par les paroles, mais que Richards n'est pas étranger à l'affaire. I got the blues est beaucoup plus jaggerien dans le traitement à mon sens. Un titre peu souvent évoqué, mais valorisant pour le jeu vocal de Jagger et pour l'esprit de ses contorsions soul: I got the blues. Sister Morphine est aussi un titre qui sert à évincer Richards puisque l'original a été publié par Marianne Faithful, à tel point que là encore certains ont prétendu qu'elle avait elle-même écrit cette chanson. Il s'agit d'une chanson de Jagger bien évidemment, qui avait alors une tendance à exprimer l'enfoncement glauque dans la drogue et le désenchantement (Cocksucker Blues, I got the blues, Sister Morphine).
Autre titre où on entend évincer Keith Richards: Sway. Il s'agit d'un titre assez symphonique pour guitares, le mot "symphonique" étant un peu provocateur pour cette forme sonorement sauvage qui n'est pas sans prolonger certaines facettes de Stray Cat Blues. Il y a aussi du Moonlight Mile dans l'allure d'ensemble du morceau. Mais c'est joué avec des guitares acérées.
Pourquoi ne pas soutenir par écrit que c'est Mick Taylor qui joue le solo sur Sympathy for the devil ou que c'est Mick Taylor qui a composé Stray Cat Blues? Cela n'est pas possible pour uniquement des dates d'intégration dans le groupe, voilà comme pensent les journalistes.
L'album est pourtant aussi celui d'une reprise sidérante du titre You gotta move à la manière particulière et âpre du bluesman méconnu du delta Fred Mc Dowell, ce qui n'est pas peu.
Reste enfin le titre Bitch tout à fait exceptionnel, dont on peut penser cette fois qu'il n'y ait pas de plan pour dire que ce n'est pas du Jagger-Richards.
Par ailleurs, c'est sa variété et le fait de sonner non plus comme du rock et du blues, mais comme une suite de créations musicales la plupart inscrites dans leur temps, le début des seventies, qui contribue sans doute à faire que cet album brûle la politesse dans l'estime de certains à Beggar's Banquet et Let it bleed.
En 1972, nous passons alors à Exile on Main street.
C'est un album à part dans la carrière des Stones, car il n'a pas eu pour la première fois un véritable succès. Pas de hit sous forme de 45 tours en haut des charts, et à l'époque pas d'estime de la critique.
C'est assez étonnant, car l'album contient 18 perles toutes plus belles, envoûtantes et fortes les unes que les autres, à l'exception de I just want to see his face qui est plus un titre d'harmonieuse liaison dans l'ensemble.
L'album serait plus nettement l'oeuvre de Keith Richards, mais il y a quand même un coup de génie fascinant de Jagger Shine A Light. Comme Jagger développait ce titre depuis quelque temps, et qu'il en fut question avec Leon Russell, on a prétendu que Leon Russell en était l'auteur, malgré à mon sens une discographie peu indispensable de l'artiste concerné.
Et c'est vrai que la mélodie de Shine a light est de toute beauté et qu'on pourrait croire sorti ce morceau d'une chanson traditionnelle jalousement conservée. On pourrait croire le titre piqué à un génie du blues, de la chanson passée, etc., et certainement pas à un quelconque rockeur contemporain.
Keith Richards lui a repensé complètement un titre tenu depuis longtemps en réserve Good times women qui devient Tumbling Dice. La première mouture était un rock excitant, le résultat final est une chanson posée d'une très grande classe. Les versions appartiennent à deux mondes nettement distincts.
Tous les titres de l'album sont à citer, avec le riff de Soul survivor qui sera repris sur une chanson de l'album Undercover een 1983, avec la reprise de Slim Harpo Shake your hips et celle de Robert Johnson Stop breaking down, avec le morceau chanté par Keith Happy qui nous emporte et nous fait accompagner le chant dans une joie des plus communicatives.
Rocks Off, Rip this joint, etc. : série exceptionnelle. Torn and frayed ou la torpeur descriptive de Sweet Virginia. L'éblouissant voyage de magie dans la végétation et sur l'eau de Sweet black angel. Les crescendos de Loving cup, l'intense cri de Let it loose, la formule de Ventilator Blues digne émule du You gotta move de l'album précédent quelque part
Je ne vais pas réfléchir ici à une formule pour chaque chanson, mais comme la série de photos qui compose la pochette l'album est dense, intense, touffu, envoûtant, féerique, rêveur et prenant, faisant vibrer les cordes d'une sensibilité exacerbée, mais contenue.

A suivre...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire