vendredi 16 novembre 2012

Parcours autour de David Bowie

Sous le nom Davy Jone and the King Bees, David Bowie a commencé en 64 par un single médiocre où face A comme face B il donne une imitation vocale ratée de John Lennon.
Le second single début 65 sous le nom des Mannish boys n'est pas terrible non plus I pity the fool (reprise de Bobby Bland 1961, Jimmy Page à la guitare) et Take my tip.
Sous le nom Davy Jones and the lower third, la face B de l'autre single de 65, Baby loves that way, est médiocre également, et You've got a habit of leaving, inspirée des Who est un peu correcte, mais complètement anecdotique.
Bowie est né en 66. C'est d'ailleurs par coïncidence cette année-là qu'il adopte son nom de Bowie.
Pour moi, la première chanson séduisante de Bowie est la face du premier de ces 45 tours de l'année 66 :
Can't help thinking about me. Mais le titre n'est pas pleinement génial, l'interprétation sans doute encore moins. La face B est pas mal : And I say to myself.
Il enchaîne avec un 45 tours moins intéressant, franchement anecdotique, quoique correct : Do anything you say / Good morning girl, sous son nom définitif Bowie, mais accompagné par the Buzz.
Il redresse la barre avec un autre 45 tours en 66, mais cela reste anecdotique, malgré la montée des qualité orchestrales, un petit passage à la Lovin' Spoonful sur la face A : I dig everything / I'm not losing sleep. La face B est plus marquante que la face A pour moi. Mais, l'artiste tâtonne encore sur les deux titres et ce sont les arrangements qui font passer le tout.
Je ne parle pas du suivant 45 Rubber Band / London Boys, mais directement de l'album David Bowie de 66 où figurent les deux titres. L'album est réussi, sans être un sommet de son époque.
David Bowie s'essaie à des chansons anglaises avec un esprit humoristique et sur fond pour ainsi dire "médiévisant", "dix-septièmiste", avec des paroles filmiques un peu Monty Python, dans la continuité des Small Faces. Les compositions et les interprétations sont moins sûres, moins géniales que les Small Faces, mais les titres se suivent avec un charme indéniable : Uncle Arthur, Sell me a coat, Love you till tuesday, There is a happy land, When I live my dream, Silly Boy Blue, Come and buy my toys et She's got medals.
Rubber band et Little Bombardier sont selon moi les chefs-d'oeuvre de l'album.
La chanson Love you till tuesday est ressortie en 45 tours en 67 avec en face B le titre Did you ever have a dream, pas mal du tout non plus, très séduisant.
Et, entre-temps, un autre 45 tours est sorti en 67 avec l'irrésistible échange vocal de The Laughing gnome, bien que ce ne soit pas le titre le plus pertinent de l'époque. La face B reste un peu maladroite quoiqu'avec toujours ce côté intéressant acquis qu'ont les compositions de Bowie à partir de 66 : The Gospel according to Tony Day.
Mais, Bowie n'est pas encore pleinement marquant.
En 69 sort le deuxième album Space Oddity, lequel porte le nom de la première toute grande composition importante de Bowie. Voilà enfin un premier coup de génie : Space Oddity.
La chanson est exceptionnelle à plusieurs égards. Orfèvrerie, dimension narrative, profondeur, complexité, jeu musical, richesse, plénitude,...
L'album correspondant me marque moins.
En revanche, j'ai pu découvrir sur le tard avec le double CD sur les enregistrements pour la BBC "Bowie at the Beeb", un autre titre prodigieux à ce moment-là, même un peu antérieur (67-68), dont on peut regretter qu'il n'ait pas connu un sort single. Voici une chanson dont je suis profondément fan. Il en existe quelques versions différentes, voici celle qui m'a marqué : In the heat of the morning. Je trouve ce titre immense.
L'album qui a suivi The Man who sold the world est l'album rock de la carrière de Bowie, du moins au plan guitare, mais l'écart entre le chant qui suit ses idées dramatiques, un peu annonciatrices de Aladdin Sane, et cette guitare au son rock un peu tranchant, acéré, mais variant sans cesse, filant sans cesse les notes un peu à la Jeff Beck, me semble pas si mal que ça du tout. J'aime qu'il existe un tel album. Ce n'est pas pleinement abouti, mais je ne boude pas mon plaisir.
Mais, en gros, Bowie n'a encore eu que deux coups de génie pléniers: Space Oddity et In the heat of the morning.

Enfin arriva l'âge d'or. Avec une telle longévité et un tel répertoire, on imagine mal le temps qu'il a fallu à Bowie pour se construire. De 64 à 71, il lui a fallu sept ans, et il est rare qu'un artiste n'ait pas livré l'essentiel ou peu s'en faut dans ses sept premières années de carrière. Bowie ne va s'installer durablement dans son âge d'or qu'après ces sept années. Bien que né en janvier 46 et issu de la déferlante sixties, Bowie va excellent dans les seventies, de 71 à 78.
Album de l'année 71, le fabuleux Hunky Dory, grande volupté d'écoute avec plusieurs titres majeurs.
Il est vrai que s'il a fallu attendre, ce n'est pourtant que son quatrième album.
Quasi constante de Bowie dans les années qui suivent, il faut sur chaque album un rock fort endiablé qui fait un peu isolé par rapport à des albums tout de même en général beaucoup moins rock, cas à part de Ziggy Stardust.
Changes reprend le bégaiement de My Generation, mais la composition n'a rien à voir, quoique pour le côté philo là encore le rapprochement avec idée de source du côté des Who est sans doute patent.
Titre magique : Changes.
Nouvel élan prodigieux qui dégage pour la première fois le style Bowie à part entière : Life on Mars?
Hunky Dory est un immense album, avec pas mal de titres brillants que je ne cite pas de Oh! you pretty things à The Bewlay Brothers, rien que ces deux titres le rappellent pour ceux qui le connaissent.
Cette tension dramatique un peu mélo est savoureuse et domine nettement l'album suivant, célèbre pour le mythe qu'il impose, mais que j'ai du mal à mettre en-dessous d'Hunky Dory, tant je prends plaisir à sa grandiloquence folle: Ziggy Stardust.
Tous les titres sont à citer, et d'ailleurs même les bonus tracks. Deux titres rendent à mon avis complètement dingues par leur perfection et leur intensité tragique, ils m'ont fait immensément d'effets. J'affectionne toutes les chansons, mais les deux titres suivants m'invitent moi à faire tourner l'album en boucle, je parle de Starman et plus encore pour moi Rock and roll suicide. Moonage daydream est captivant et Hang on to yourself envoûtant par son style quoique moins parfait, puis Ziggy Stardust, Suffragette city, etc., jusqu'aux bonus tracks de l'édition CD, Velvet goldmine, etc. Dans les marges, un titre fait une énorme impression encore : John I'm only dancing. Sommet évident de l'androgynie scénique de Bowie.
En 73, Bowie enchaîne avec une autre perle Aladdin Sane. Plusieurs titres sont véritablement hypnotisants : Time, Lady grinning soul, The Prettiest star. Avec tels trois titres, on songe parfois que nous sommes face au plus grand album de David Bowie, mais l'album est un peu plus inégal, plusieurs autres titres étant pourtant très bons (Aladdin Sane, Drive-in saturday, Panic in Detroit) ou fascinants malgré quelque chose d'insuffisant (Cracked actor, The Jean Genie).
Parallèlement à ces albums de l'âge d'or, Bowie participe à l'élaboration de l'album All the young dudes où on retrouve nettement dans deux compositions du groupe des éléments venus de Bowie, parents donc avec Life on Mars? ou Drive-In saturday. La chanson-titre est d'ailleurs une composition de Bowie offerte au groupe et magnifiquement interprétée : Mott the Hoople - All the young dudes.
Le groupe et surtout son chanteur seront bien ingrats envers Bowie. Ils étaient incapables d'atteindre à ce niveau de composition et ne réaliseront plus jamais rien d'aussi précieux que cette chanson et cet album.
Mais, l'âge d'or Bowie connaît une accalmie. L'artiste se fait plaisir à la fin de l'année 73 avec un album de reprises, mais il n'est pas vraiment sur son terrain d'accomplissement propre. Reste un album agréable et correct, attachant parfois.
Bowie reprend deux titres des Pretty things, du seul premier album de 65 d'ailleurs : Rosalyn et Don't bring me down, et deux chansons des Who, toujours de 65: Can't explain et Anyhow, anyway, anywhere. Il a déjà repris, mais étrangement, Let's spend the night together des Rolling stones sur Aladdin Sane. Il reprend ici le plus célèbre titre des Easybeats Friday on my mind, le titre phare de Pink Floyd période Syd Barrett See Emily Play et un des (nombreux, il est vrai) joyaux des Kinks sixties: Where have all the good times gone. Il reprend Shapes of things de la période Jeff Beck des Yardbirds et, après eux, reprend aussi le titre I wish you would de Billy Boy Arnold. Via les Them, il songe à reprendre Here comes the night. On note la présence du titre Everything's alright des Mojos et puis ce titre rare Sorrow des Merseys, après une première rupture des Merseybeats. Les Merseybeats se reformant joueront une nouvelle version du morceau, mais c'est l'interprétation du groupe réduit (à deux je crois) qu'il faut apprécier et connaître : The Merseys - Sorrow.
D'autres reprises faites à l'époque par Bowie ne figurent pas sur l'album. Bowie a repris I feel free de Cream, deux titres de Brel: My death et plus connu Amsterdam, mais aussi deux titres de Bruce Springsteen. Le succès et la réputation de Springsteen interpellent quelque peu. Il se cherche un son sur ses deux premiers albums et n'en aura jamais un. Le répertoire de Springsteen n'est sans doute pas non plus bien terrible, y compris dans le format best of, mais il s'est vendu en Amérique.
Or, Bowie reprend deux titres de Springsteen quand celui-ci n'en est pourtant qu'à son premier album qui n'a pas vraiment de son. Il reprend Growin' up et de manière assez envoûtante quoique un peu trop insuffisante techniquement: It's hard t(o be a saint in the city.
Mais l'accalmie vaut aussi au niveau studio. L'album Diamond Dogs n'est pas du niveau des albums antérieurs. Il contient un rock fort isolé pour le hit-parade Rebel Rebel. L'album n'est pas mauvais en soi, mais ce n'est pas abouti, accompli, sauf l'enchaînement envoûtant des trois derniers titres inspirés de la lecture du célèbre roman de George Orwell : le funk superbe d'autant que j'adore ce style à la theme from "Shaft" : 1984, l'accomplissement musical n'est toutefois pas parfait, mais quelle séduction, et puis la fusion des titres à progression si folle que leur discours d'abandon à l'aliénation n'est sans doute pas le rendu du message du livre d'avertissement d'Orwell : Big Brother et Chant of the ever circling skeletal family.
Les bonus tracks révèlent deux perles éblouissantes, un bien meilleur titre Candidate et un exceptionnel Dodo qui rehaussent ce que cet album a de trop limité, bien qu'il soit séduisant dans sa fièvre mélodramatique.
Maintien de l'accalmie, Bowie en live. Ce n'est pas son domaine de compétences, n'en déplaise aux inconditionnels.
Suit alors un album qui est trop simple pour être son chef-d'oeuvre, mais d'une séduction folle avec une évolution professionnelle du chant : Young americans. L'album contient le titre Fame avec John Lennon, ainsi qu'une reprise d'Across the universe des Beatles, composition du même Lennon d'ailleurs, mais pour moi c'est cette soul vertigineuse qui fait les délices de l'album : Young americans titre éponyme génial et connu, mais que dire encore de Win, Right, Somebody up there like me, Can you hear me ?, voire  Fascination? Même les bonus tracks sont stupéfiants: Who can I be now, It's gonna be me, sinon la version disco pour John, I'm only dancing (again).
Mais, en 76, Bowie renoue avec l'âge d'or. Il chante mieux que jamais et son génie est de nouveau très proche des sommets d'Hunky Dory, Ziggy Stardust ou Aladdin Sane. L'album Station to station ne compte que six titres, mais quels? Outre le titre éponyme marquant de dix minutes, on admirera côté guitares l'excellent Stay. Le chant est sublime sur la reprise, déjà interprétée par Nina Simone dans les sixties, Wild is the wind. Splendeur qui nous vaut une sorte de variante avec une composition de Bowie lui-même : Word on a wing.
Par ses montages de sonores, superposition de séquence brève de notes de divers instruments, TVC 15 est un titre important qui, moins plaisant, moins fin, fascine tout de même. Et il faut compléter par une chanson dont on ne saura plus quoi dire pour vanter les mérites, si ce n'est qu'elle aurait été composé afin d'être interprétée par la vieille croûte d'Elvis Presley et qu'heureusement elle reste un joyau du seul répertoire Bowie : Golden years, volupté étrange et irrésistible qui joue sur le côté dansant, les superpositions de séquences ultra courtes, comme du légo, et les splendeurs de la suavité mélodique mêlées d'audaces comiques non appuyées, mais enlevées.
Bowie continue en pleine forme avec Low. Il s'éloigne des repères rock, mais en trouvant un nouveau souffle réellement porteur et en évitant de tomber dans ce que la dimension insupportable du krautrock dont il se rapproche pourtant.
En 77, il sort un remarquable album Low avec, en correspondant de Golden years, mais musicalement différent, musicalement propre à la nouvelle tournure de Low, le fondant Sound and vision.
Il aura sans doute toujours manqué à Bowie un génie de l'exécution, de l'instrumentation, mais ce défaut est commun à John Lennon. Bowie est un génie de la composition, de la marque atmosphérique qu'il met dans ce qu'il produit. Ses instrumentaux sont de véritables créations fortes. Il n'y a pas là le groupe de rock qui exécute l'alchimie parfaite et l'envers du génie de Bowie c'est que cette limite dans l'exécution le pousse à un perfectionnisme sensible qui ne fait pas oublier qu'il lui manque une touche magique, mais les titres sont fascinants, géniaux, et y compris dans cette période berlinoise plus instrumentale. Bowie est poète dans le rock et c'est une force : Speed of life, Breaking glass, Always crashing in the same car, Warzsawa, etc.
L'album Heroes continue de maintenir Bowie au sommet. La chanson titre bien sûr Heroes, mais aussi Beauty and the beast (d'après l'oeuvre de Cocteau), Joe the lion, etc., et les instrumentaux vertigineux chacune à leur manière: V-2 Schneider et Sense of doubt.
L'album qui a suivi en 79, Lodger, n'amorce que très légèrement le déclin, car il contient encore un grand nombre d'inventions saisissantes dont Boys keep swinging, mais encore un très efficace Look back in anger à la touche magique de possédé.
Parallèlement à la trilogie berlinoise, Bowie s'est occupé de relancer la carrière d'Iggy Pop dont il ne produit pas seulement les deux premiers albums solos, puisqu'il compose aussi la musique de la plupart des titres, voire les paroles. Les deux albums sont The Idiot et Lust for life. Sur Lodger, Red Money est une réécriture d'un titre du premier album d'Iggy Pop : Iggy Pop - Sister Midnight.
Mais, l'âge d'or de Bowie touche à sa fin, il fut long et cela lui a permis de rivaliser avec la longévité des Rolling stones. En 1980, sort le dernier album majeur de Bowie qui continue pourtant de baisser de niveau, Scary Monsters.
L'album contient plusieurs titres scotchants: Fashion, Scary Monsters, et on note un titre de Tom Verlaine (ex Television) : Kingdom come.
Dans cette baisse de niveau, on voit clairement comment Bowie se surpasse en dépit de ses faiblesses musicales, voire en prenant appui sur le niveau qui est le sien. Mais il est certain qu'il est moins impressionnant.
L'album Scary Monsters se signale tout de même à l'attention par un titre extraordinaire qui fut justement la consécration pour Bowie en termes de reconnaissance auprès du grand public : Ashes to ashes.
La boucle est bouclée avec Space Oddity, titre sur lequel il est fait explicitement retour. L'oeuvre de Bowie trouve là sa cohérence et, homme soigneux de ses clips, Bowie marque aussi les esprits avec celui pourtant très bricolage d'Ashes to ashes.
Mais voilà que les années 80 vont être étonnantes. Bowie va rater systématiquement tous ses albums, tandis qu'il sera capable de sortir encore au long des années 80 des 45 tours remarquables, certains faisant un carton: Let's dance, China girl qu'il avait offert à Iggy Pop, This is not America, le culotté message de sa part avec Modern love, ainsi que Blue Jean.
Les albums en comparaison sont bien décevants: éponyme Let's dance, Tonight avec plusieurs reprises et Never let met down. Bowie touche le fond quand il devient groupe avec des ratés aussi impressionnants que les deux fades et insignifiants albums Tin Machine et Tin Machine II de son groupe Tin Machine. Comme les autres, Bowie a touché le fond dans les années 80, à cette réserve près qu'il a su tirer son épingle du jeu par quelques singles. Mais, comme les Rolling stones, il va connaître une renaissance.
Il ne sera plus jamais le génie des seventies, mais son oeuvre dans les années 90 surprend. L'album Black tie white noise est captivant. Il a une séduction hypnotique qu'il ne faut pas confondre avec la qualité, mais quand même. Deux albums splendides suivront Outside et Earthling. Ensuite, le déclin est irrémédiable, même s'il y a du bon toujours dans Hours ou Heathen. Mais il serait mensonger de voir là le tout grand Bowie. En revanche, ne laissons pas retomber dans l'oubli des albums comme Outside ou Earthling.
Dans ce dernier album, il crée des chansons aux allures pop-rock habituels mais avec les sons techno et se permet aussi un jeu avec des notes qui fausses quand elles surgissent finissent par s'imposer justes grâce à la création d'ensemble. Le revival de Bowie dans les années 90, c'est ce qui fait aussi que sa longévité et son talent sont désormais reconnus comme jamais.
Et cela passe par des titres qui ont l'air très loin du rock et des sixties.
Et nous finirons de dos à la Bowie

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