mercredi 13 juillet 2011

20. The Oxford circle : Live at the Avalon 1966 :



J’ai découvert ce groupe sur le quatrième coffret Nuggets, celui qui s’intéresse aux formations sixties de San Francisco. Le titre Foolish woman apparaît sur le second CD qui réunit les groupes au profil plus spécifiquement garage. Sur le même coffret Nuggets, j’avais d’abord remarqué, entre autres perles, un titre du groupe Kak sur le quatrième CD et je m’étais rapidement procuré l’album à bonus tracks Kak-ola. Un peu après, mes recherches sur le groupe Oxford circle m’ont amené à constater qu’il n’existait qu’un live disponible du groupe. Et le plus curieux, c’est qu’il datait de 1966.
Il faut comprendre qu’un live de 66 est un fait rare dans le rock. Le Got live if you want it des stones a un côté arnaque bon enfant (cris ajoutés sur du studio, ou mauvais son, et prestations qui souffre de la panique des débuts de la période British Invasion ou Beatlestonemania). Les concerts rock en Californie sont sans doute autrement plus professionnels, mais je n’ai pas de live de 66 du Jefferson Airplane et c’est sur des bootlegs uniquement que j’ai pu me procurer des concerts, excellents au demeurant, du Grateful dead. Heureusement, il y a les CD semi-officiels de concerts du Quicksilver Messenger Service de 66 à 68. Ainsi, voilà qui rend assez loufoque l’existence de cet album live d’un groupe obscur et éphémère. Je pourrais m’écrier dans mes moments d’accent belge : « Mais qu’est-c’ que c’est que c’tte histwaR ? » En 66, les inconnus d’Oxford circle pouvaient-ils faire de l’ombre sur scène au Grateful dead ? Le CD est une création de 1997 intitulée Live at the Avalon 1966 avec un sur-titre Nuggets from the Golden state. Les 14 premiers titres correspondent à leur prestation de 1966 au Avalon Ballroom. Les titres 15 et 16 correspondent à la face A et à la face B de leur unique 45 tours. Deux autres titres inédits studio sont ajoutés en piste 17 et 18, avec Mac Rebennack à l’orgue (organ), autrement dit le futur Dr John qui jouait sous son vrai nom à ses débuts. Dernière surprise, je retrouve en leader compositeur de la formation le même Gary Lee Yoder du groupe Kak ultérieur, ce qui n’est pas innocent. Le coffret Nuggets san franciscain ne réunit pas que des artistes obscurs et Gary Lee Yoder entre dans la valse des artistes qui figurent sur deux titres du quatrième coffret Nuggets.
Ce concert que le Family Dog Ballroom se montre fier d’annoncer en début de première plage est dans la superbe continuité du rhythm’n’blues anglais de 65 avec, ô merveille !, l’accompagnement indispensable à l’harmonica. Les reprises en témoignent : Mystic eyes (chanté par le batteur Whaley) et Little girl sont deux compositions de Van Morrison et un troisième titre renvoie au groupe irlandais The Them, la version rock du blues de Big Joe Williams Baby please don’t go. Le titre You’re a better man than I vient des Yardbirds et We’ve gotta get out of this place est un titre repris par les Animals qui en firent l’un de leurs sept plus gros succès, quoiqu’en-dessous des classiques House of the rising sun, Hear me cryin’ et Don’t let me be misunderstood. Le groupe reprend à l’instar des anglais les standards de Muddy Waters (I got my mojo working), de Willie Dixon et Bo Diddley, en s’amusant à faire se succéder Hoochie coochie man et I’m a man, l’origine réel du célèbre riff étant délicate à départager entre Willie Dixon et Bo Diddley. La faible antériorité de Dixon ne doit pas cacher que Bo Diddley tournait autour des mêmes studios pour faire enregistrer son premier disque Bo Diddley / I’m a man en 55. Muddy Waters privilégiera I’m a man dans son Mannish boy pour lequel Bo Diddley a été crédité. Face à toutes ces reprises, il reste encore de la place pour six compositions originales où domine le nom de compositeur de Gary Lee Yoder qui ne partage qu’une fois le crédit pour le titre Foolish woman (Gary Lee Yoder/Dehner Patten). Or, les compositions sont également exceptionnelles avec une volupté instrumentale de musiciens très clairement appliqués : Since you’ve been away, Soul on fire, Foolish woman, Troubles, Today, Silent woman. Le passage des reprises aux compositions originales est insensible à l’écoute.
Le rhythm’n’blues anglais est américanisé si l’on peut dire. Les morceaux prennent une vraie dimension californienne riche guitaristiquement, fine orchestralement dans un tout planant, avec un batteur exceptionnel, dynamique et endurant. Seul le chant, plus sage et moins puissant, ne rivalise pas avec les formations anglaises. Il y a aussi quelque chose de très discipliné dans les prestations du groupe. Mais musicalement c’est grandiose. Le mélomane rock y prend du plaisir. Et les techniques d’enregistrement pour l’année 66 sont vraiment irréprochables. Rien à voir avec le Got live if you want it des Rolling Stones. Ici un enregistrement du live, c’est du sérieux, pas simplement du génie enregistré au petit bonheur la chance dans une atmosphère brouillon où les musiciens ne s’entendent guère. On en arrive à ce constat incroyable. Ce live est l’un des plus saisissants qui soit au moins avant 67, et même jusqu’à 69, en côtoyant Grateful dead en bootlegs, Quicksilver Messenger Service semi-officiels de 66 à 68, Jefferson Airplane qui ne prend tout de même sa pleine mesure qu’en 69 et Jimi Hendrix Experience pour sa performance à Monterey en 67 bien sûr.
Evidemment, les performances lives étaient demeurées inédites à l’époque. A la fin de l’année 66, le groupe enregistre son unique 45 tours. Succès en live, Foolish woman est choisi pour face A. Le morceau qui figure donc sur le coffret Nuggets san franciscain est un rhythm’n’blues âpre et hystérique, renforcé par des musiciens complémentaires (Jack Hills : backwards fuzztone sax et Bruce Turley : organ). La face B est un choix de la production. Ils ont enregistré une improvisation live de onze minutes sur le titre Little girl des Them et ils l’ont intitulé Mind destruction, comme si c’était la quintessence de l’avant-garde en jazz dira un membre du groupe perplexe. Au début de l’année 67, ils passent à un nouveau projet de 45 tours et enregistrent deux nouveaux titres auxquels participent à l’orgue Mac Rebennack, le futur Dr John ! Il s’agit des inédits The Raven, très intéressante nouvelle composition de Yoder, et Troubles. Ce dernier titre bien présent sur le live bénéficie d’une belle collaboration de Mac Rebennack. Hélas, malgré les appels téléphoniques du groupe, aucune suite n’est donnée au projet de 45 tours. Ils ne sortiront qu’en 1997 avec 14 titres en live sur ce CD où seuls deux titres de 45 tours ne sont pas inédits. La série noire continue avec l’incarcération du lead guitariste Dehner Patten. Le jeune batteur explosif Paul Whalley est alors capté par le groupe hardeux Blue Cheer. Malgré les remplacements, l’esprit n’y est plus et, avec l’étrange confiance en l’avenir, les musiciens se séparent pour suivre leur voie. L’année 1967 est perdue pour ce qui est d’apprécier les possibilités de Gary Lee Yoder, mais en 1968 il va réussir à créer un nouveau groupe exceptionnel Kak d’une valeur mythique comparable à Oxford Circle. Hélas, l’expérience sera de courte durée, mais je ferai une entrée sur Kak-Ola. Après la dissolution de Kak, Gary Lee Yoder enregistre en solo et sort un 45 tours qui figure en bonus sur Kak-Ola. Ensuite, il est recruté dans Blue Cheer. Le groupe dans un style hardeux a rencontré un certain succès avec ses premiers albums et notamment sa reprise de Summertime blues d’Eddie Cochran. Mais ce succès n’était pas celui des connaisseurs et c’est seulement à l’arrivée de Gary Lee Yoder que le groupe devient musicalement intéressant. Gary Lee Yoder privilégie les racines blues, donne une orientation psychédélique et, s’ils participent à trois albums, ses contributions sont surtout marquantes sur Blue Cheer number 5 et Oh ! Pleasant hope. Mais Blue Cheer sombre inexorablement et éclate en 1971. Les membres d’Oxford circle semblent être restés dans le domaine de la musique par la suite, mais si Gary Lee Yoder semble avoir continué de vivre de performances, il est désespérant de ne pas constater la présence rassurante d’une discographie avec d’autres compositions personnelles. C’est bizarrement le bassiste Jim Keylor qui restera le plus près de la notoriété en produisant des formations punk rock au tournant des années 70 et 80. Il a produit notamment le premier single au titre violent des Dead Kennedys California Uber Alles.
J’ai fait écouter ce live à un ami qui a flashé et l’a commandé avec impatience. En revanche, je ne suis pas parvenu ni avant ni après à l’intéresser à Kak qu’il n’a de toute façon pas écouté au-delà d’un titre. Tant pis ! Mais il est quand même désolant de se dire que les gens ne parviennent pas à reconnaître la valeur musicale à partir du moment où elle n’est pas balisée. Les gens ne trouvent pas jouissifs de découvrir des merveilles pareilles qui étaient demeurées dans l’obscurité, l’absence de ventes conséquentes, voire l’absence de commercialisation. Si c’est obscur, ils ont besoin du label culte : ce produit n’a eu aucun succès, on l’a depuis éprouvé, il est culte, achetez-le. On me dira qu’il est culte dans le réseau des gens qui connaissent le rock garage, mais ce n’est pas tout à fait ça. Les gens ont encore besoin d’un parfum de valeur sûre pour avoir un plein effet dans une soirée. Dire que tel groupe de rock obscur sixties est phénoménal, ce n’est pas avec ça qu’on va séduire le rock BCBG, la rock attitude et autres, il faut encore le code qui dira que vous êtes dans le secret du bon goût et de la mode. C’est une vraie galère que d’essayer de susciter l’intérêt rock pour le puits sans fond des sixties.

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