jeudi 9 juin 2011

1. Collector's: Marmalade Kaleidoscope (the psych-pop sessions)



J’ouvre ma série des raretés sixties à collectionner par une compilation tout à fait particulière. Ce qui me plaît dans le choix de cette première publicité « collector’s », outre le caractère génial du produit, c’est que la plupart des connaisseurs passent à côté du chef-d’œuvre à cause d’un mur de préjugés. La réputation de pop commerciale frivole du groupe a rendu possible l’éviction de toute une œuvre reléguée à l’arrière-plan qui avait pourtant retenu la pleine attention de Jimi Hendrix. C’est ce destin compliqué que je voudrais raconter.
Tout le monde sait que le groupe The Marmalade a flirté avec le succès grâce à une reprise précoce du Obladi-Oblada de Paul Mc Cartney. Et la légende ajoute que le groupe des repreneurs a mieux réussi à toucher le public que les célèbres Fab Four.
En réalité, considéré comme puéril par Lennon, le morceau Obladi-Oblada n’aurait jamais pu devenir la face A d’un nouveau 45 tours des Beatles. Etant donné son potentiel, il a donc fallu refiler le bébé à un groupe capable d’en assumer l’image péjorative entrevue par Lennon, le côté bon enfant. Le morceau figure toutefois sur l’album blanc de 68. The Marmalade a d’emblée repris le morceau avec la réussite que l’on sait, mais en demeurant dans une interprétation au plus près de l’original. Du coup, ce hit est devenu une nouvelle casserole pour la réputation d’un groupe qui avait déjà souffert les concessions du monde des maisons de disques. Sans être averti des dessous de cette histoire, on a donc du mal à imaginer un spécialiste du rock recommander une quelconque compilation des succès des Marmalade en 2011 et c’est bien ce qui est arrivé. Moi-même, je ne le ferais pas. Voici une de mes compilations qui me tombe sous la main et qui me présente The Best of The Marmalade avec des titres phares tels que Ob-La-Di-Ob-La-Da, Cousin Norman, Falling apart at the seams, Reflections of my life, Wait for me Mary-Anne, Radancer… Cette compilation ne comporte pas le titre Lovin’ things numéro 6 GB en mai 68 quelques mois avant leur numéro 1 GB, la reprise des Beatles. Elle rassemble 18 titres qui seraient la quintessence du groupe offerte à la nostalgie des auditeurs. Le groupe connut essentiellement le succès de 68 à 72, avec, quatre ans plus tard, un dernier hit attardé : Falling apart at the seams, numéro 9 en 76. « Le groupe continue à tourner », nous assure cette compilation CD non datée.
Faisons un sort rapide à cette compilation, cas à part du titre des Beatles, elle ne comporte que cinq titres intéressants : la composition Wait for me Mary-Anne de Howard/Blaikley et les quatre compositions de deux membres du groupe : Rainbow, Reflections of my life, Ballad of Joshua Dillard et Cry, tous signés Campbell / McAleese. Encore peut-on être réservé à l’égard de Wait for me Mary-Anne et du titre final Cry. A part Wait for me Mary-Anne et Reflections of my life, d’autres titres sont présentés comme des temps forts de cette compilation. Pourtant, Cousin Norman est imbuvable et, peut-être dans le coup pour le rythme, le faible Radancer n’est que le dernier succès du groupe pour la période d’or 68-72. Cousin Norman et Radancer sont deux compositions de Nicholson, ancien membre du groupe The Poets qui compose aussi un Back on the road qui ne rappellera que de très loin du Cat Stevens ou le chant d’Arthur Lee du groupe Love. Les chœurs et le lancement des couplets sont ensuite ridicules à souhait. On note une reprise sans intérêt d’un titre tardif de Townshend Let my love open the door, une composition d’un certain Joel It’s still rock and roll to me, enfin le succès de 76 Falling apart at the seams composé par un certain Macaulay. Rien de mémorable dans ces trois titres. J’ai dès lors pratiquement fait le tour de la compilation, car il ne me reste qu’à citer avec dérision la majeure quantité de compositions d’un certain Newman. Aucun des titres de celui-ci n’est annoncé comme un succès du groupe par le livret du CD, et pour cause… Les compositions de Newman sont coincées de la neuvième plage à la quinzième du CD avec pour seule interruption la reprise de Townshend. Un titre Take another chance est coécrit avec un certain Priest. Mais, la neuvième chanson Heartbreaker (cette fois au sens guimauve, pas au sens rock) anéantit toute attente mélomane, je peux vous le garantir. Can’t you feel the thunder essaie la voie Mc Cartney, mais sans inspiration et cela sonne fortement comme du réchauffé, de la nostalgie à la gomme. A l’évidence, Newman compose pour les radios des salons de coiffure. Du coup, l’intérêt particulier qui ressortait des compositions de Campbell/McAleese s’en ressent. Pourquoi si peu de titres d’eux ? Ils n’étaient pas féconds ? Décidément, cette compilation n’invite pas à l’achat d’un album de la grande époque des Marmalade. Un amateur de rock n’écoute que des CD ou vinyles qui sont bons pour au moins les trois quarts des morceaux. Pas même question de laisser tourner cette compilation. L’affaire est enterrée.
Oui, mais voilà, si aucun spécialiste ne recommandera une compilation des succès des Marmalade, il reste que certains connaissent suffisamment leur affaire que pour savoir que le meilleur des Marmalade ne fut pas dans la vitrine du succès et que derrière la gaze il y avait un trésor. Rien moins que la splendide compilation Marmalade / Kaleidoscope (the psych pop-sessions). On ne vous recommandera aucun autre CD des Marmalade, mais celui-là est vraiment indispensable. Je ne peux résister à le présenter sous la forme de la légende. Les Marmalade jouaient en face A la médiocrité commerciale à succès que les maisons de disques exigeaient d’eux, mais ils se réservaient les faces B pour se faire plaisir et jouer la musique qu’ils aimaient. On découvrait alors un groupe digne des grandes formations garage sixties anglaises Fleur de Lys ou Creation. Notre CD serait la compilation des faces B. Voilà qui est alléchant.
Effectivement, le CD contient 20 titres éblouissants. Il s’ouvre et se referme sur le titre I see the rain qui a eu une version single et une version album. C’est une composition de McAleese et Campbell. Neuf autres titres sont écrits par la même paire : Kaleidoscope, Laughing man, Mr Lion, There ain’t no use in hanging on, Fight say the mighty, Time is on my side, Dear John, And yours is a piece of mine et Can you help me. Ils sont tous meilleurs que Rainbow ou Reflections of my life de la compilation précitée. Campbell écrit seul trois autres titres : Mess Around, Man in a shop, Chains. Même constat de supériorité ! Ainsi, aucune des treize meilleures compositions du groupe ne figurait sur la compilation des 18 succès ! C’est impensable et pourtant qui comparera les CD l’éprouvera ! Affirmant le côté garage, le groupe reprend des classiques tels que Hey Joe ou Mr Tambourine Man. Plus surprenant, on découvre une perle composée par les trois frères des Bee Gees, l’excellent Butterfly dont on ne boudera pas le crédit (Gibb, Gibb, Gibb). On a vraiment envie d’acheter une compilation des premiers succès de bonne musique pop des Bee Gees quand on entend ce Butterfly interprété par The Marmalade. Surtout, je ne peux résister à citer le Station on third avenue, à l’évidence l’un des titres les plus splendides des Easybeats. Cette merveille méconnue ne figure pas sur un album classique des Easybeats, mais déjà sur un album de raretés. Qui plus est, les Easybeats ont massacré le morceau par trop de bruits incongrus, comme si da Vinci avait ajouté des phylactères de bande dessinée en peignant La Joconde. Les Marmalade ont sauvé le morceau pour la postérité avec une interprétation parfaitement recadrée et juste. Les deux autres reprises sont It’s all leading up to saturday night de Geoff Stevens ( ?) ou Stephens et Otherwise It’s been a perfect day de Wood.
Le CD est accompagné d’un excellent petit livret dépliant qui raconte tout. Ce n’est pas tout à fait une histoire de faces B. C’est un peu plus subtil. Mais il s’agit d’un combat dialectique de fin des années sixties entre un courant pop dominant et un début de scène rock underground. Le groupe a d’abord construit sa réputation dans la ville natale de Glasgow sous le nom de Dean Ford & the Gaylords. Leur quatre premiers singles ne se sont pas vendus et ils se sont déplacés à Londres en 66. Leur manager Peter Walsh va transformer les anachroniques Tremeloes en machine à succès et il rebaptise ici le groupe Dean Ford and the Gaylords en The Marmalade. Bien que le groupe souhaite imposer ses propres compositions, il doit d’abord accepter de reprendre le titre d’un compositeur installé Geof Staphens : It’s all leading up to Saturday night (septembre 66). Ce n’est pas mauvais et ça se tient mieux que la plupart des titres du prétendu best of analysé plus haut. Il s’agit d’un morceau pop sophistiqué, harmonique et éthéré, dont la force rock naît du traitement feutré à la batterie et surtout d’une intro originale qui sert ensuite de transition entre les parties de la chanson. Le livret la décrit ainsi : « its arresting harpsichord intro (vaguely reminiscent of the early Yardbirds hit ‘For you love’) ». Bien qu’imposé, le titre mérite sa place sur la compilation des œuvres ambitieuses du groupe. Le second single sera encore un titre imposé Can’t stop now en mars 67, mais c’est sa face B qui peut frapper les esprits, une composition de Mac Aleese et Campbell There ain’t no use in hanging on, avec une incursion guitaristique dans les terres du psychédélisme. Ils enchaînent alors avec le titre I see the rain, nouveau moment psychédélique qui est la pièce maîtresse du groupe. Dans le Melody Maker, Jimi Hendrix déclare alors que c’est son 45 tours préféré pour l’année 1967. Le coup de pub est énorme, mais pourtant le titre n’a qu’à peine connu un petit succès en Europe. Il connaîtra une nouvelle jeunesse en 2002 sur le second coffret Nuggets. Voici comment il est présenté sur notre livret : « their third single – the beatific, severely blissed-out ‘I see the rain’, which featured some Hendrix-style guitar breaks alongside a touch of phasing, appropriate sound effects and the group’s typically stellar harmonies. ‘Laughing man’, primarily an attempt to out-jangle the Byrds that eventually dissolved into varispeed, private joke hysterics, was the perfect companion piece. […] ‘I see the rain’, which reflected homegrown psychedelia’s fascination with the elements, inexplicably fell flat on its immaculately stoned face in Britain, despite being described in Melody Maker by Jimi Hendrix as his favourite single of the year (« that was like an Oscar to us », […]) ».
Le suivant single est encore une splendeur Man in a shop. Mais ce nouvel échec commercial fait paniquer la maison de disques qui met la pression pour que le titre suivant soit une reprise. Il fut un temps question d’une reprise de Everlasting love, mais, sous la pression, c’est le titre des américains The Grass roots : Lovin’ things, qui s’impose en nouveau 45 tours du groupe, et cela marche (numéro 6 en mai-juin 68), malheureusement pour l’avenir du groupe. Précisons que le groupe The Grass roots a eu un court début folk intéressant avant de devenir un groupe pop à succès sans intérêt, si ce n’est leur morceau le plus connu Livin’ for today de toute manière emblématique d’une veine « chantons à tue-tête ». S’ils parviennent néanmoins à imposer leur version hendrixienne de Hey Joe en face B, les Marmalade ne maîtrisent plus rien à la situation. Il faut enchaîner avec un nouveau single : on leur impose une composition faite pour eux, le titre ‘Wait for me Mary-Anne’, œuvre passable du best of étudié précédemment, mais œuvre nettement inférieure à ce que le groupe a réuni sur la compilation présente Kaleidoscope. En revanche, la face B est un excellent rock bien prenant Mess around. Comparaison renversante, c’est le cas de le dire. Nous entrons là dans la légende d’un groupe qui vaut pour ses faces B. Le suivant single n’est autre que l’opportuniste Ob-la-di, Ob-la-da fraîchement composé par Mc Cartney et numéro 1 en janvier 69. Désormais, le groupe qui avait aussi sa réussite dans les salles de concert est indésirable dans le circuit rock !
Le succès du titre Beatles coïncide avec la sortie du premier album des Marmalade en décembre 68 There’s a lot of it about qui contient des joyaux tels que Mr Lion, I see the rain, Man in a shop, au milieu de terribles compromis commerciaux. L’album inclut toutefois le très bon There ain’t no use in hangin’ on du second single de 66. L’excellent titre Otherwise it’s been a perfect day est toutefois écarté et il ne paraîtra qu’en 2000 sur la compilation I see the rain : the CBS Years. Dans tous les cas, l’album n’a pas connu le succès.
D’autres perles seront encore parsemées par le groupe jusqu’en 71. En réalité, c’est le départ de Junior Campbell en 1971 qui a, malgré tout, sonné le glas pour le combo. Il est remplacé par un ancien membre des Poets, mais les hits de ce dernier ne doivent pas faire illusion et n’ont guère retardé la fin de l’âge d’or, il ne l’a repoussée que d’un an avec, selon moi, des titres assez discutables Radancer et l’imbuvable Cousin Norman. De 69 à 71, repérons l’histoire des autres titres de la compilation Kaleidoscope. Time is on my side est la face B d’une autre composition de Macaulay pour le groupe ‘Baby make it soon’ (juin 69). Encore une fois, il fallait retourner son 45 tours pour écouter de la vraie musique. La reprise des Bee Gees Butterfly sera une bonne surprise côté face A en 69, grande harmonie pop et non plus psyché. Enfin, le premier single du groupe pour la maison Decca est une composition de Mac Aleese et Campbell, leur hit Reflections of my life présent sur les best of. Un nouvel album suit en juin 70 Reflections of the Marmalade. Les titres sonnent comme des compositions enregistrées auparavant, des œuvres qui paraissent du coup quelque peu anachroniques. On y remarque les titres baroques Dear John et Fight say the Mighty ou la ballade And yours is a piece of mine que le livret présente comme du Justin Hayward des Moody Blues sixties, quand il s’agit plutôt d’un titre fortement teintré de l’esprit Mc Cartney Beatles. Mais surtout, on y relève un chef-d’œuvre majeur, celui qui donne son titre à la compilation Kaleidoscope : il est présenté comme suit dans notre livret « the astonishnig ‘Kaleidoscope’, a towering slice of late period British psychedelia that was awash with hallucinogenic sound effects and imagery » Enfin, un autre titre ambitieux n’a jamais été diffusé à l’époque, l’ambitieux Can you help me qui s’étend sur huit minutes trente et donne une bonne version de rock progressif.
Le texte du livret est fait de telle façon que trois plages de cette compilation n’ont pas été citées : la reprise de Dylan Mr Tambourine man, la reprise des Easybeats Station on third avenue et la composition de Campbell intitulée Chains qui est un excellent pastiche du Mc Cartney de 64-65 (jusqu’à l’intonation de la voix). On peut toujours acheter l’intégralité des titres des Marmalade période Campbell en cumulant les CD I see the rain (the CBS years) et Rainbow (the DECCA Years 1969-1972). Le double CD Reflections of the Marmalade que je ne possède pas est sous-titré The Anthology. L’idée serait de graver sur un seul CD les 20 titres de la compilation Kaleidoscope avec les quatre titres signés Campbell-McAleese du best of désossé précédemment.
Une recherche Youtube m’avait permis de prendre la température. La sublime reprise des Easybeats n’y figurait pas et je ne pouvais repérer que l’original de Station on third avenue si tristement gâché par les bruitages incongrus. Les choses ont-elles changé depuis ? Sinon, avec cette reprise, je vous conseille fortement d’essayer de repérer les titres I see the rain, Kaleidoscope, Mess Around, Man in a shop, Buttefly, Laughing man, Otherwise It’s been a perfect day, Hey Joe, Mr Lion, There ain’t no use in hanging on, Fight say the Mighty, Dear John, And yours is a piece of mine, voire Can you help me. Je ne pouvais pas citer moins. 15 titres qui feraient le vrai best of du groupe. Ces 15 titres les rendent les égaux des Creation, Action, Attack, Fleur de Lys, principaux groupes garage sixties anglais. Rien que ça ! L’œuvre sixties sauvée des Creation, Fleur de Lys et Attack ne tient justement à chaque fois que sur un seul CD. Or, combien d’ouvrages sur le rock garage signaleront cette compilation des Marmalade à l’attention ? Méprisé, le CD est d’autant plus un collector qu’il ne sera pas aisé de le trouver sur les sites de vente internet. Evidemment, nous laisserons méjuger les gros malins qui n’ont pas besoin de s’intéresser aux sous-Stones, aux sous-Beatles, aux sous-Hendrix, etc., sauf que ces quinze plages réunies sur un seul support forment un ensemble de qualité très proche des grands albums des grands noms sixties.

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