jeudi 16 juin 2011

4. Betty Davis : Betty Davis (premier album)

Au sommet du funk, Betty Davis est une artiste de génie complètement méconnue. Comme à peu près tout ceux qui l’écoutent, je l’ai découverte dans un magasin de vinyles et CD rock. Mais, d’emblée, la compilation CD This is it m’était vivement recommandée comme fabuleuse. Il m’était même précisé qu’il y avait trois excellents albums d’elle qui ne couraient plus les bacs, tous épuisés. Il existait même un quatrième album, un album d’inédits lui aussi exceptionnel. Les trois albums d’époque sont Betty Davis, They say I’m different et Nasty gal de 73 à 75. L’album resté en plan est Is it love or desire enregistré l’été 1976, mais paru pour la première fois bien plus tard. Mon CD pour ce dernier album date de 2009. J’ai d’emblée acheté la compilation This is it et elle a tourné plusieurs fois de suite sur mon lecteur CD. Scotché, je me suis débrouillé pour très vite acquérir l’œuvre intégrale, ce qui ne fut pas si compliqué que ça. Il existe deux versions CD de ses albums. Il existe une série avec des boîtiers CD en plastique et transparent (j’ai vu un exemplaire de They say I’m different) et une série digipack visiblement récente, même format donc que pour la compilation This is it. J’ai les quatre albums en digipack et j’ai encore les troisième et quatrième albums, Nasty gal et Is it love or desire, en vinyles. Les digipacks sont des objets de collectionneur. La compilation n’est accompagnée que d’un mini-poster plié en quatre pour se ramener au format du CD, avec derrière un texte en anglais racontant brièvement l’histoire musicale de l’artiste. Les autres volumes, les quatre albums donc, ont chacun un livret de plusieurs pages autrement plus nourris. Les quatre albums sont stupéfiants. Aussi, quand j’ai découvert l’existence d’un cinquième album, j’ai foncé. Il s’agit de Crashin’ from passion qui date de 1979, mais demeuré inédit jusqu’en 1996. Pas de digipack cette fois, un vulgaire boîtier CD. Le titre de ce cinquième album est celui d’une chanson qu’on trouve également sur Is it love or desire. Hélas, la chanson a été réenregistrée : comprendre ainsi que la promesse de qualité musicale vient de voler en éclats. Ces plages de 79 sont filles de leur époque et un témoignage du déclin inévitable de notre artiste.
Betty Davis mérite largement que plusieurs de ses albums se rencontrent dans cette série collector. J’ai hésité à ne faire qu’une entrée pour le cas particulier Is it love or desire, mais je devais aussitôt ajouter que les trois premiers albums étaient aussi des OVNI inconnus. Parfois, je pourrai me servir d’un album méconnu pour rappeler à l’attention l’œuvre plus plébiscitée d’un artiste. Ici, ce n’est pas le cas, il faut réserver un sort à chaque album.
Betty Davis portait le nom de son mari Miles Davis et elle s’affichait avec une coupe afro suffisamment énorme pour que celui-ci fasse entrer la trompette entière dans ses cheveux. Mais Betty Davis n’est pas une groupie, ni une élève de Miles Davis. Celui-ci était dans le jazz, quand Betty était dans le funk et le rock. Difficile de déterminer l’influence d’un maître tel que Miles Davis sur Betty, mais notre femme fatale du funk semble avoir influencé la musique de son compagnon de deux ans, en l’initiant à James Brown, Sly and the Family Stone et bien sûr Jimi Hendrix. Miles Davis a rendu quelques hommages musicaux à sa femme, puis ex-femme. Elle figure sur la pochette de l’album de 68 Filles de Kilimandjaro où apparaît le titre portant son nom de jeune fille : Mademoiselle Mabry. En 1981, apparaît un nouveau titre moins prévenant qui est plus dans la ligne suggestive de l’icône funk : Back seat Betty. En revanche, Miles Davis sera très avare de renseignements biographiques sur son ex-femme. Les tendances violentes du mari et l’indépendance d’une femme qui entrecoupera sa liaison avec Miles Davis par une histoire avec un musicien de jazz sud-africain : Hugh Masekela, ont eu raison du couple.
Mais, dans cette histoire, la carrière de Betty Davis prend aussi du retard. Mariée au grand jazzman, elle ne compose plus de chansons. Originaire de la Caroline du Nord, Betty Davis revendique avoir eu une grand-mère passionnée de blues qui collectionnait les disques de B.B. King, Elmore James, Jimmy Reed, Muddy Waters, etc. Elle prétend avoir composé dès 12 ans un morceau intitulé I’m going to bake that cake of love. Au début des années soixante, elle s’intéresse à la folk music, ce qui peut surprendre vu son évolution funk ultérieure. La pureté première semble un point commun de son attachement au blues et à la folk. A New York, elle joue dans une boîte The Cellar et enregistre un premier disque au nom de cette boîte, morceau qui reste à retrouver. Elle enregistre un second single orienté pop en 64 : Get ready for Betty / I’m gonna get my baby back. Les années semblent ensuite passer. En 1967, elle compose pour le seul grand album des Chambers Brothers, groupe de rhythm’n’blues tardif dont l’un des albums vaut pour une pochette où on voit la formation marcher dans le ciel, les yeux éblouis tournés vers le haut, la mine joyeuse. Mais le groupe n’a pas un immense intérêt musical, si ce n’est le titre Time has come today. Pour son œuvre phare, l’album The Time has come qui connut le succès, Betty Davis a composé le titre Uptown (to Harlem). C’est ensuite le mannequinat et le mariage avec Miles Davis qui éloignent quelque peu Betty Mabry du monde de la chanson. Toutefois, dans son aventure avec Hugh Masekela, Betty enregistre un nouveau single, dont la face A est une ballade, genre qui restera inusuel pour elle : Live, love, learn / It’s my life. Un projet d’album « hard and heavy », contenant la chanson The Politician de Jack Bruce et Eric Clapton et produit par Miles Davis, est prévu. Mais le projet avorte, sans qu’on ne sache qui l’a enterré de la maison de disques Columbia ou de Miles Davis.
Plus tard, Betty Davis déclinera une proposition d’Eric Clapton de jouer avec lui. Clapton est trop un puriste classique du blues pour elle qui est plus dans l’avant-garde. Elle ne croit pas l’aventure possible. La maturité de Betty Davis est devenue exceptionnelle, mais elle doit un temps composer pour d’autres, notamment pour le groupe The Commodores qui est encore loin de connaître son fameux succès de 1974 Machine gun. Elle réalise la démo et les compositions d’un album du groupe vers 1970-1971. Deux titres qu’elle a écrit pour les Commodores figureront parmi les huit titres de son premier album de 73 : Walkin up the road et Game is my middle name. Le problème, c’est que la Motown, voulant signer Betty Davis séparément, veut aussi imposer des conditions et être propriétaire du crédit des compositions. L’indépendante Betty qui sait ce qu’elle veut refuse. Mannequin à Londres vers 1971, elle rencontre le leader de T-Rex, Marc Bolan, qui lui conseille de jouer elle-même ses morceaux plutôt que de les offrir à d’autres.
Betty Davis a alors une liaison san franciscaine avec Michael Carabello, percussioniste du groupe de Santana. Loin des femmes groupies, Betty Davis ne touche pas à la drogue et recherche un réel épanouissement dans la musique, au-delà de la vitrine sexe et fric, ce que l’image sulfureuse de sa carrière peut faire perdre de vue. Carabello se débrouille pour lancer Betty Davis. Un groupe de très bons musiciens est formé autour d’elle, un groupe qui va être funk et qui comprendra le bassiste Larry Graham (Sly and the Family Stone), le guitariste de Santana, Neal Schon, d’autres encore. Très consciente de ce qu’elle veut, Betty donne des lignes de départ très simple au bassiste, puis au guitariste. Elle crée des grooves extraordinaires avec assurance. Son point faible est sans doute le chant, mais elle use de sa voix de manière magnétique, créant une émotion, une âme, le sentiment d’un message imparable, créant quelque chose de cru qui sera dans la note exacte de sa musique. Pour la voix, elle est réputée un Bob Dylan féminin. Pour sa musique, c’est un George Clinton féminin, et, comme Parliament-Funkadelic, elle sera samplée par les rappers, notamment dans le morceau Once upon time in the projects de Ice Cube. Toutefois, le rap monotone et mesquin n’est rien en comparaison de l’énergie funk créative qui jaillit des artistes des années 70.
La compilation This is it reprend les six premiers titres du premier album et en laisse deux de côté, ce qui arrive à être dommage vu le caractère toujours époustouflant du titre écrit pour les Commodores Game is my middle name. L’édition digipack du premier album comprend trois bonus tracks. Il s’agit d’inédits enregistrés en 1974, ce qui correspond plutôt à l’époque du second album, les musiciens sont d’ailleurs différents. Trois inédits également fabuleux, le dernier annonçant la chanson finale de Nasty gal. Difficile d’extraire sans remords pour les autres morceaux quelques temps forts. Anti love song mérite sans doute une distinction particulière pour son intimisme originale, mais pourquoi je ne parle pas des autres titres ? Ils sont tous puissants. Le début de l’album est marquant avec les trois premiers titres. Mais, je ne saurais négliger les plages 4 à 6, tandis que j’ai déjà fait remarquer mon attachement au septième morceau. Le premier bonus tracks est incroyablement jouissif et dansant Come take me. Les deux autres bonus tracks ne dépareraient aucun des albums de Betty Davis, ils annoncent d’ailleurs les deux opus suivants. Le problème, c’est que tout est bon. Il n’y a rien à jeter, pas de rognes de rigueur.

If I’m in luck I might get picked up
Walkin up the road
Anti love song
Your man my man
Ooh yea
Steppin in her I. Miller shoes
Game is my middle name
In the meantime

Bonus tracks (previously unreleased, circa 1974)

Come take me
You won’t see me in the morning
I will take that ride

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